Archives pour la catégorie “Récits en rêve”

Éblouissements (0)

Il est à la fois (très) excitant et (un peu) désolant de s’apercevoir, en lisant et souvent au hasard, que le texte rencontré vous séduit si brutalement que vous avez alors envie de l’avoir écrit vous-même ! Cet éblouissement peut même vous conduire à douter de votre propre capacité à écrire. Rassurez-vous : cela ne dure pas.

L’immensité de votre mauvaise foi (autrement dit : votre besoin irrépressible d’écrire) vous convainc aussitôt que non, tout n’a pas été écrit déjà et que même votre aptitude à jouir de ces textes serait plutôt la preuve que vous faites partie de ces happy few si nombreux à se laisser inspirer par les Muses, même lorsqu’ils savent (ou ne parviennent pas à ignorer) que le destin de leurs textes personnels est de demeurer dans l’ordre intime.

Ce sont quelques uns de ces éblouissements que je voudrais noter ici, sans me préoccuper trop des droits d’auteur, convaincu depuis longtemps que l’épiphanie d’un texte – et il ne s’agit pas seulement des textes écrits – n’est fondamentalement la propriété de personne. Au demeurant, je ne les ferai jamais passer pour miens et ils relèveront toujours de mon admiration et non d’un quelconque ricanement.

J’admets pourtant qu’au delà (ou, bien sûr, en deçà) des questions de copyright, l’ancrage de l’impersonnel absolu sur les impulsions de telle ou telle personne singulière pose une question préoccupante. Mais elle est de l’ordre de la philosophie la plus poétique. J’y reviendrai  très certainement.*


*J’y suis déjà revenu souvent, par exemple, assez récemment ici

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« de la suavidad de la sua vida »

ou encore : de l’inexistence (33)

2. La provocatrice.

Ce billet est la suite de 1.la démesurée

j’avais une sœur beaucoup plus âgée que moi, en qui je voyais une vertu irréprochable et une bonté parfaite; et cependant je ne prenais rien d’elle, tandis que je fis bientôt passer dans mon âme les mauvaises qualités d’une parente qui nous visitait souvent. Ma mère, voyant sa légèreté et devinant, ce semble, le mal qu’elle devait me faire, n’avait rien négligé pour lui fermer l’entrée de la maison; mais tous ses soins furent inutiles, tant elle avait de prétextes pour venir. Je commençai donc à me plaire dans sa société; je ne me lassais pas de m’entretenir avec elle: car elle m’aidait à me procurer les divertissements de mon goût, elle m’y entraînait même, et me faisait part de ce qui la regardait, de ses conversations et de ses vanités.

J’avais, je crois, un peu plus de quatorze ans lorsque s’établit entre nous ce lien d’amitié et cette confidence intime; et, dans toute cette première époque de ma vie, je ne trouve aucun péché mortel qui m’ait séparée de Dieu. Ce qui me sauva, ce fut sa crainte que je ne perdis jamais, et une crainte plus grande encore de manquer aux lois de l’honneur . Ma résolution de le conserver intact était inébranlable; rien au monde, ce me semble, n’aurait pu la changer; aucune amitié de la terre n’aurait été capable de me faire fléchir. Pourquoi faut-il que je ne me sois point servie, pour être toujours fidèle à Dieu, de ce grand courage que je trouvais en moi pour ne blesser en rien l’honneur du monde? J’ambitionnais avec passion de le conserver sans tache, et je ne voyais pas que je le perdais de mille manières, parce que je négligeais les moyens nécessaires pour le garder; j’évitais seulement avec un soin extrême de me perdre tout à fait.

Ce passage du début de l’autobiographie semble, à première vue, recenser une série de péchés véniels pour lesquels Thérèse a certainement dû obtenir depuis longtemps l’absolution, mais leur évocation (qui rappelle un peu la tonalité des « Confessions » de Saint Augustin) devrait justement attirer l’attention. Certes, il s’agit pour la Carmélite de conter dans quelles conditions elle eut à vivre réellement dans un couvent – événement majeur de son histoire – mais elle aurait pu expédier d’une phrase cet épisode, alors qu’elle éprouve le besoin, au bout de trente ans, de consacrer plusieurs longs paragraphes à décrire (sans décrire précisément, d’ailleurs) les fautes de l’adolescente. Il y a là un signal clandestin dont je ne suis pas sûr qu’il est inconscient. Je suis même convaincu du contraire.

Disons, pour mieux faire comprendre le récit et le commentaire proposés ici, que le père de Thérèse, Don Alfonso, craignant pour l’honneur de sa famille que les méchantes langues cancanassent sur le comportement déluré de la jeune fille, la fit enfermer dans un couvent voisin. Et c’est dans ce couvent, qu’elle découvrit les qualités et les défauts d’une règle monastique point trop sévère. L’événement a son importance mais il reste classique. Mesuré, quoi! Mais justement l’esprit de démesure, dont la Thérèse déjà âgée fait le moteur central de sa vie, va sortir la jeune fille de ses gonds. Sur le moment, elle accepte et sans se plaindre la punition. Elle ne fuguera qu’un peu plus tard.

Sur le moment, ce qui l’enrage ce n’est pas que l’on mette un terme à une période de liberté allègre, même si un peu acide, c’est qu’on intervienne au nom de l’honneur mondain. La langue castillane de l’époque semble avoir eu deux mots pour désigner la réputation d’une personne appartenant à une famille en vue : honra et honor. Par son comportement, Thérèse l’insoumise peut sembler mettre en péril son honra, son honneur mondain et celui de sa famille : le futur époux de la petite ne peut qu’appartenir à une famille de haut rang et elle doit rester pucelle (pour de vrai et même de réputation) si elle veut y prétendre. Or, Thérèse (et il s’agit aussi bien de la quadragénaire qui écrit sa confession que de la jeune fille dont elle refait la vie) n’a pas de mots assez durs pour vilipender l’attachement au monde que révèle la volonté de honra !

Mais elle s’en fout de la honra ! Elle sait qu’elle est restée et qu’elle restera pucelle, mais elle sait aussi, et c’est la femme expérimentée qui parle maintenant, qu’elle n’a pas su rester digne de son honor. L‘honor, c’est une sorte d’honneur intérieur qui vous contraint à rester fidèle, coûte que coûte, à votre croyance la plus intime et dans le cas de Thérèse fidèle à Dieu. Et c’est ce sentiment d’honor que j’interroge ici.

Quand l’adolescente, déjà femme comme on disait il y a un demi-siècle pour faire allusion à la puberté et non au pucelage, se livrait aux plaisirs des marivaudages mal maîtrisés avec les cousins mais surtout avec cette amie plus âgée, elle ne pouvait pas laisser de côté sa passion religieuse personnelle : elle n’ignorait pas qu’elle était sous le regard de Dieu, puisque rien ne lui échappe. Et d’y être ainsi – elle ne l’ignorait pas non plus – conférait à leurs jeux un appel intense auquel sa partenaire restait sans doute insensible (en tout cas, c’est ainsi qu’avec le recul, Thérèse la confessée la voit) mais que Thérèse la coupable ressentait aussi vivement dans son corps que dans son âme.

Honor eût été de se jeter sans retenue dans la jouissance pressentie, d’accepter enfin de la vivre pour ce qu’elle est : l’accueil ou plutôt le recueil du regard divin, son approbation sans limites de ce moment, comme hors du temps, où le corps, devenu une seule zone érogène et comme en dehors de toute distance, s’excarne en l’âme qui, de s’incarner, découvre ce qu’elle a toujours su, qu’elle est le regard de Dieu sur elle.

Une suite à ce billet se trouve ici :3. Thérèse et le Bernin

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« de la suavidad de la sua vida »

ou encore : de l’inexistence (33)

1. La démesurée.


Thérèse d’Avila a vécu entre 1515 et 1582, dans le Royaume d’Espagne. Cette période correspond bien à la grande époque de la Renaissance en Europe, mais l’Espagne semble occuper une place très particulière dans cette Renaissance. Vers 1515, on est plus occupé en Espagne par la volonté d’achever la Reconquista que de se livrer aux rêves de la Renaissance : la Reconquista, c’est en fait la conquête de la partie espagnole de la péninsule ibérique par des princes du nord s’appuyant sur une version très figée du catholicisme (ou comme ils disent, de la Chrétienté) contre des princes du sud s’appuyant eux plutôt sur une version très humaniste de l’islam et sur une version encore plus humaniste du judaïsme séfarade. Vers 1515, l’affaire est en voie de règlement définitif : les musulmans (les Maures) sont refoulés en Afrique du nord et les Juifs obligés de fuir (les ancêtres d’Edgar Morin se réfugient dans la Nouvelle Séfarade, Salonique, c’est-à-dire dans la partie grecque de l’empire ottoman) ou de se convertir plus ou moins sincèrement. Parmi ceux qui restent dans la péninsule les marranes sont soupçonnés par les catholiques de ne pas être sincères et ils doivent encore, quand naît la petite Thérèse, faire la preuve de leur loyalisme.

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Thérèse a ainsi son grand-père paternel qui a dû acheter fort cher le droit de vivre en paix dans le royaume des Rois Catholiques. Comme les textes de Thérèse ne montreront jamais ( à la différence des écrits de la plupart de ses contemporains) une quelconque hostilité aux marranes, on peut être tenté de voir un lien entre une de ses origines familiales et les dissidences dont elle a fait preuve par la suite.

Thérèse a à peine un an lorsque les couronnes de Castille et d’Aragon passent sur la tête de celui qui va être connu sous le nom de Carlos I en Espagne et de Charles-Quint dans le reste de l’Europe. Son empire s’étend sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas et donc l’Espagne plus une partie de la Bourgogne ainsi que les possessions coloniales de l’Amérique en train de devenir latine. Charles-Quint est donc sur le papier le souverain le plus puissant de son époque, mais son empire est tellement étendu par rapport aux moyens de communication qu’il restera constamment travaillé par des forces centrifuges qui le conduiront à abdiquer en 1555.

D’ailleurs, la Castille où vit Thérèse sera souvent en rébellion contre son souverain, sans d’ailleurs que rien n’en transparaisse dans l’autobiographie de Thérèse. L’abdication de Charles-Quint met son fils Philippe II à la tête des Espagnes, comme on dit encore, mais aussi des Pays-Bas et de la Bourgogne, bien au delà de la mort de Thérèse. On retient surtout de son règne espagnol, la volonté politique (appuyé sur une Inquisition plus sévère qu’ailleurs et sur un flicage généralisé) de défendre le catholicisme le plus dur contre l’influence mineure des hérétiques de tous bords : protestants, bien sûr, mais aussi par exemple les catholiques exaltés connus sous le nom d’Illuminés ou Alumbrados et qui sont en fait des mystiques. Et là, Thérèse n’est pas loin.

La première mouture de ce texte (qui semble avoir été remanié plusieurs fois) a été écrite alors que Thérèse a 45 ans, ce qui ne me semble pas sans importance pour en comprendre le contenu : c’est déjà une femme âgée (beaucoup plus qu’une quadra d’aujourd’hui), mais elle reste une femme de désirs et désirable. Son confesseur lui demande alors d’écrire ce qui apparaît d’abord comme une confession destinée à expliquer comment elle se représente son état quand elle est convaincue d’être en présence de Jésus. S’il demande, c’est-à-dire exige, cette explication, c’est pour au moins deux raisons.

C’est d’abord pour que Thérèse montre comment sa vie antérieure l’a conduite non seulement à se faire religieuse mais en plus à vouloir réformer et durcir la règle monastique qui régit alors les Carmélites : Thérèse en effet refuse depuis longtemps la règle de mitigation (la règle mitigée) qui autorise les Carmélites, théoriquement coupées du monde, à maintenir des contacts avec leur famille et leurs alliés. Thérèse sait en effet, et d’expérience, que ces contacts sont l’occasion de relations personnelles dont le Démon se sert pour mettre les religieuses en état de péché mortel. Ce que son confesseur exige d’elle c’est qu’elle fasse état de ses expériences passées pour justifier son extrémisme. Si on en croit Thérèse, il lui aurait aussi demandé de ne pas être trop circonstanciée quand même sur ses expériences ! Il y aura donc du non-dit dans cette confession!

Son confesseur – qui partage parfois les élans de son ouaille et en soupçonne d’autant mieux les équivoques – lui demande aussi de bien faire comprendre (à d’éventuels inquisiteurs, par exemple) que ses élans mystiques ne sont pas inspirés par le Démon mais par l’amour divin. Il semble en effet que le seizième siècle espagnol ait vu se multiplier les Illuminés et surtout les Alumbradas que les autorités religieuses de l’époque considèrent comme « hérétiques ». Jean de la Croix (un voisin, un ami, presque un élève de Thérèse) est ainsi soupçonné de confondre de bonne foi le mysticisme et les séductions démoniaques. Aidé par deux ou trois collègues, ce confesseur ira même à un moment (c’est Thérèse qui le dit) jusqu’à exiger de Thérèse qu’elle éloigne ses visions en dressant contre elles le signe de croix, ce qu’elle fait (bien qu’elle en soit scandalisée) et ce qui ne les éloigne pas, nous dit-elle, puisqu’elles émanent de Dieu.


L’autobiographie de Thérèse peut être subdivisée en trois mouvements successifs auxquels il arrive de se chevaucher. Dans un premier temps, essentiellement consacré à la manière dont Thérèse, à quarante-cinq ans, se remémore son enfance, son adolescence et son entrée dans l’âge adulte, il s’agit vraiment d’une confession dans laquelle elle décrit l’état de péché que son attachement au monde lui a imposé. Ensuite, le texte – sans perdre complètement son caractère de contrition – présente, de façon à la fois imagée et détaillée, les différentes formes ou stades de l’oraison qu’elle a pratiquée et qu’elle recommande aux Carmélites qui viendraient à vivre dans un monastère respectant une règle plus sévère que la règle de mitigation. Enfin, revenant à un récit plus chronologique, Thérèse raconte ses démarches pour imposer aux pouvoirs politiques et religieux la création des premiers couvents du Carmel obéissant à une règle exigeante.

À quarante-cinq ans, Thérèse se représente et représente la petite fille qu’elle fut comme une gaminette continuellement tentée par la démesure. Âgée de 7 ou 8 ans, ne réussit-elle pas à entraîner son frère encore plus jeune dans une fugue au terme de laquelle les deux enfants espéraient rejoindre le monde des Maures musulmans pour s’y faire décapiter et ainsi témoigner de la grandeur de la foi chrétienne ! Ils n’allèrent pas bien loin. Loin de s’en offusquer la religieuse qui se confesse, quarante ans plus tard, éprouve visiblement une sympathie amusée pour ce qu’elle ne considère pourtant pas comme une foucade puérile: en parler assez longuement dans un texte qui est plus philosophique qu’événementiel laisse entendre qu’il y a là du sens et qu’il faudra y revenir.

Obligée par la sévérité paternelle (qu’elle dira plus tard approuver) d’accepter l’enfermement à l’intérieur du domaine familial, Thérèse la petite s’obstine : au lieu de chercher le désert au delà de la clôture, elle va le construire de ses mains (aidée en cela par le frangin subjugué) en deçà. Elle se fera ermite. Et la voilà qui entreprend de construire un ermitage dans le parc, une cabane, évidemment mal ajustée, dans laquelle elle va pouvoir s’isoler et prier et aussi pester contre la pauvre arrogance des grands. Elle ne veut pas encore devenir religieuse, c’est trop facile, un couvent, vous pouvez continuer à y bavarder, à y croiser des regards, non, elle veut être seule dans son désert. Et si les pierres de sa cabane ont tendance à s’effondrer, tant pis, elle ira en construire une autre un peu plus loin. Et une autre encore. Et encore un peu plus loin. Et encore un peu plus isolée dans les frondaisons familiales. Bien sûr, Thérèse, la Thérèse de la confession, montre qu’elle a conscience de cette futilité, mais si elle en parle trente-cinq ans plus tard, sous le regard nécessairement glacé de son confesseur, c’est bien qu’elle y voit encore une fois un sens ou du moins un appel au sens.

Arrive l’adolescence. À ce moment, chacun des deux parents a son rôle, très classique, bien défini : le père est chargé de la sévérité et on l’aime et l’admire pour ça ; la mère, presque toujours en couches et presque sans relevailles et qui finira par en mourir, se charge de l’indulgence. Doña Beatriz vit presque constamment allongée et dans les moments où sa fatigue lui en laisse la force, elle lit, elle lit beaucoup et elle laisse traîner ses livres. Ce ne sont pas forcément des livres de piété. Ce sont même souvent des livres de chevalerie. Oh! tout à fait conformes à la morale banale que Thérèse commence à abhorrer, mais d’être lus comme ils le sont (en cachette effrayée du père, avec la complicité honteuse de la mère, déjà aux frontières de l’interdit) les récits du preux chevalier, toujours en proie à l’adversité, à la lisière de la défaite définitive et y trouvant une souffrance suave, changent de sens. L’adolescente y lit ce qu’elle leur apporte, le plaisir douloureux de l’excès, l’approche outrancière de l’exact moment où, transporté de joie et de souffrance, le héros terrasse enfin le monde.

Transfigurée par ses lectures, Thérèse se sait jolie fille ou comme elle dira d’elle trente-cinq ans plus tard – et trop conventionnellement pour qu’elle puisse se croire honnête – plutôt bien dotée en charmes par la Providence. Elle est surtout piquante, aussi libre d’esprit que de corps, elle est visiblement le pôle (toujours un peu décentré) d’une bande de jeunes gens de la bonne société castillane, beaucoup de cousins (un peu plus âgés qu’elle pour certains), quelques cousines ou quelques voisines, alternativement captivés par la petite qui rejoue avec eux ses livres de chevalerie et quelque peu surpris par les moments, toujours inattendus, où elle les envoie bouler, elle-même déjà ailleurs.

Ces jeux adolescents – auxquels se mêlent, sous le prétexte de les surveiller, telle ou telle amie de la famille – multiplient les occasions, recherchées, de faire les regards, les mains, les lèvres se frôler dans une ambiance d’autant plus rieuse qu’elle est plus trouble ou du moins troublante. Et la Thérèse de l’autobiographie éprouve, malgré le temps écoulé, la nécessité de préciser que le secours de la sainte grâce lui permit d’éviter le péché mortel.

La suite se trouve ici

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J’ai déjà eu l’occasion (ici) de noter ma surprise (et mon émotion) quand je me suis aperçu qu’un texte écrit il y a près d’un demi-siècle l’était par le biais d’une écriture que je reconnais comme mienne, encore. Avec juste ce qu’il faut de distance et d’étrangeté pour que le temps fasse, en souriant, sentir qu’il est vue de l’esprit, mais indispensable. Or, il se trouve que j’ai retrouvé dernièrement un long poème, sans doute à peine moins ancien, fort différent du texte que je viens d’évoquer, et qui produit en moi un effet semblable.


Antigone de la Méditerranée



Sommeil aux seins dressés
tu traverses le ciel et nul
n’est plus nu que le bruit de tes ailes
épaisseur aérienne
sables fauves et pas liquides sur les sables
danses des pavots sous
les orangeraies en feu

je te regarde vivre écartelée
pivoine
aux nerfs de braise dans le plus rouge des sommeils
à travers le ciel le plus bleu
que je puisse entrevoir
foison des plaintes des silences
ardente
mauve
secrète
inavouée
criante
bleue de flamme presque mauve
paroxysme endormi

je te regarde vivre écartelée traverser le ciel
enfiévrer les ardents les éteindre
mourir de ne savoir pas vivre
mourir de trop savoir


sommeil tu es sommeil
aux seins dressés
tu traverses le ciel nue sous les paumes amantes
épaisse et fauve parmi les sables le crépuscule
orangeraies pavées de feu
foisons écartelées


du plus profond du désir à sa surface
tu inventes le feu
tu inventes le clair
buissonnement d’étoiles
tu inventes le bleu et
l’aine aux baisers brasille
s’enfièvre le safran
tu te retrouves seule
il est très loin
je suis très loin
et nul n’est plus nu que le bruit de tes ailes.

Tu moissonnes les comètes
et nul n’est plus fauve que le pas des pavots le soir
quand les oiseaux de cire tombent du soleil
et l’emportent
sur l’acier trempé de tes cuisses refermées
et nul
n’est plus bleu
que l’envers de tes cuisses


tu inventas le feu
tu inventas l’eau
claire
tu inventas le bleu et le safran des paumes entrouvertes
et les lèvres à goût d’oranges mandarines
et le poivre et les miels du sexe si l’appel se noue


tu moissonnes les comètes
semant de roux le sel
et les garances du crépuscule
tu te retrouves seule
il est très loin je suis très loin
il est très loin
tu te retrouves seule
et nul n’est plus nu que l’envol de tes seins vers le nid de ses lèvres


je te dirai désirante
désirable
oronge de plein ciel quand le ciel
ouvre large
sa parenthèse de plaisir et de haine

tu allais le sein vierge
l’aine offerte
aux papillons de mai
et des noms très classiques
humanistes humanistes
en perdaient la cravate à te sentir venant
Brindisi le Pirée
la Grèce de Tarente
Delphes
mais où est l’Apollon des chênes verts
prenaient saveur à ton désir
ni l’écume de sueur aux aisselles des touristes
ni la foudre
blanche arrachée à ses cuivres
ni l’avenir
n’y pouvaient rien.

Tu perdais la mémoire
tu jetais le présent à la face des dieux et les dieux
descendaient
les mains allégoriques
le sexe haut
le verbe modeste
tu baptisais d’adolescence de longs garçons bruns
dont le sang
par trop rouge
s’épaississait de vert
des marins de tergal arrondissaient la jambe
quand tu passais souveraine jeune fille
ils en perdaient l’alpha et l’oméga
des lesbiennes en deuil – ce sont les plus cruelles -
t’imaginaient encore sur les murs de Thèbes
et tu passais déjà
ton espace ton temps
à regarder partir parmi les aubes, hellènes bien sûr,
les flottes d’Alcibiade bondées de testicules
tandis que châtrés
les Hermès
cherchaient leur second souffle
et c’étaient des citrons à n’en jamais finir
si tu levais les yeux sur leurs lèvres attiques
attiques


de Paphos à Mycènes il n’est chemin de ronde
qui ne t’aie ouvert ses armoises de plein ciel
de Paphos à Mycènes
par je ne sais quelle île blanche pavée de voiles noires
On attendait la suite
elle ne venait jamais
Pasiphaé se faisait les seins lourds
tu te retrouvais seule


je te dirai désirante
désirable
oronge de plein ciel si le ciel ouvert large
s’entreparenthèse de plaisir et de haine

ou
plus loin
ailleurs
la plage on l’imagine
telle un sexe de femme
sous le soleil roi
conque de feu d’où partent les barques bleues
par les pinèdes assouvies inassoupie une flûte
se tait
le calcaire est trop blanc pour rompre le silence
qu’elle caresse
Mais les Abencérages ont quitté le navire
et c’est un peu leurs voix le silence de craie


on attend les voyelles elles ne viendront pas.

Folle de toi la sierra
se donne à la poussière retient
son regard de s’accrocher aux branches
qu’elle caresse les oranges une à une
renoncent au soleil


tu es le sable sous tes cuisses
l’élan de la mer vers l’espoir du sable
deux seins se murmurent des rêves
où il serait questions de caresses andalouses
andalouses
venues de nulle part cueillir la saxifrage
une flûte se tait, éternelle crayeuse
tes cuisses réinventent un midi de toujours
une espèce de pivoine
éclatée
le feulement bronzé de muscles incessants
une cloche a tinté
il ne reste que l’air
les barques sont parties
le regret se fait doux
les caresses reviennent
en songe
d’oranges nues
découvertes
admirées
la marée basse
la marée basse
les horloges de la mer s’embrassent sur la bouche.

Je te dirai désirante désirable
oronge de plein ciel quand le ciel large ouvert
s’entreparenthèse de plaisir et de haine
ou plus près ailleurs encore
les sept colonnes du plaisir
jeté en pleine mer une mer d’ocre
roussie par on ne sait quelle honte
piliers de feu où le soleil prend naissance
la roche fond
les lèvres
pardonnent
l’horizon ne soutient plus le regard d’Antigone
si la gorge libre le ventre plat
tu laisses l’eau des terres se glacer contre l’aube
aube toi-même
d’un jour qui jamais ne se lève


Antigone de toujours éprise d’éternel


je te dirai désirante désirable
oronge de plein ciel si le ciel large ouvert
s’entreparenthèse de plaisir et de haine
le ciel est blanc
le ciel est blanc
le calcaire aussi
toute pivoine
est un miroir où le feu est fait glace
les paraphes de l’aigle
absent
désignent l’horizon
les hommes leurs femmes détournent le regard
ramassent les petits sous les châles de deuil
désignent l’horizon
des griffures d’asphalte rouge
à pleine craie
désignent l’horizon
poussière
poussière plate des cavaliers morts.

Je te dirai qui peut te dire
et comment
tu inventes le feu
tu inventes
tu inventes l’eau claire
tu inventes le bleu
je ne sais pas
tu moissonnes les comètes
et la poussière des cavaliers morts
tu es l’aigle absent
absence de toutes les absences
tu es désirante désirable d’un pays où les mots
les cris
dans le silence
le silence à la naissance du cri
les mots n’ont plus le vent pour les porter
la Méditerranée à petits gestes
découvre les étiages du sens
ce sont des plages où jamais
ne poseront le pied les Abencérages
perdus les Abencérages rêvés
qui jamais n’existèrent
qui jamais n’existèrent
qui jamais n’existèrent.

*

Mais, hélas ! au lieu du son des anafins, du bruit des trompettes et des chants d’amour, un silence profond régnait autour d’Aben-Hamet. Cette ville muette avait changé d’habitants, et les vainqueurs reposaient sur la couche des vaincus. Ils dorment donc, ces fiers Espagnols, s’écriait le jeune Maure indigné, sous ces toits dont ils ont exilé mes aïeux ! Et moi, Abencerage, je veille inconnu, solitaire, délaissé, à la porte du palais de mes pères !

Chateaubriand
Le dernier des Abencérages.

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Advienne ce que pourra

de l’inexistence (28)

En ces temps-là, il n’y avait pas de temps. Pas de temps ni d’espace. Insomniaque, une masse infinie et indifférenciée somnolait définitivement. Rien ne se passait et il n’y avait personne pour s’en rendre compte. Il en avait toujours été ainsi et il en serait toujours ainsi. Puisqu’il n’y avait pas de temps. Pas de temps ni d’espace. Ni de besoin d’en créer. La stase infinie et indifférenciée était. Et c’est tout.

La stase ne cherchait à trouver ni les cieux ni la terre, ni les ténèbres ni l’abîme. Ni la lumière. Tout était là et c’était tout. Tout était là, indifférencié, sans contraires, ni antécédents, ni conséquents, ni inconséquents. Et qui eût établi qu’il pouvait y avoir des contraires, des antécédents, des conséquents et des inconséquents? Il n’y avait personne. Seulement, la stase indifférenciée du Tout. Pas de noms. Pas de consciences. Seulement, la masse infinie du Tout. Et il en serait ainsi de toute éternité.

Et il en est ainsi de toute éternité !

*

vignette Ecoute

Est-ce pour cela que la Stase se mit à rêver qu’elle rêvait?

Rien ne l’y obligeait. Rien ne le lui interdisait. La Stase se mit à rêver qu’elle rêvait et dans ce rêve, elle s’aperçut rêvant. Elle s’aperçut rêvant qu’elle venait – s’apercevant rêvant – de créer de l’espace et du temps. Il y aurait dorénavant le temps du rêve et le temps d’avant le rêve du rêve. Et, dans le temps du rêve, la Stase se rendit compte que le rêve changeait souvent de place et dessinait de l’espace. Elle eût fort bien pu ne pas rêver qu’elle rêvait et elle le fit certainement, mais nous ne pouvons, nous les êtres de ce rêve, nous ne pouvons que la suivre rêvant qu’elle rêve. Et nous réjouir (tout en le regrettant) qu’elle eût inventé ainsi le temps et l’espace sans lesquels nous ne serions même pas en rêve.

Dans ce rêve, la Stase crut s’apercevoir que son rêve était le rêve de quelque chose qui était à la fois elle et pas elle. Cela ne l’étonna point que quelque chose pût être en dehors d’elle puisque ce quelque chose d’autre venait d’elle-même. Cela ne l’étonna pas non plus que ce quelque chose fût à la fois elle et pas elle puisqu’elle rêvait qu’elle rêvait.

Dorénavant (dans le temps du rêve), la Stase décida – comme ça, pour rien – que dans le temps et l’espace du rêve, elle laisserait la bride sur le cou à ce quelque chose. Ce quelque chose qui se mit alors à nommer tout un tas d’autres choses du rêve, comme la bride, le cou, le rêve, l’espace, le temps. Et la Stase laissa faire. Même quand le quelque chose qui était elle et pas elle se nomma lui-même et, bien sûr, la nomma, elle, la Stase innommable.

Le Verbe – puisque c’est de lui qu’il s’agit – se mit alors à agir de son propre chef. Il nomma les cieux et la terre. Ils étaient fort obscures et donc indiscernables. Le Verbe nomma la lumière et, dans le rêve, la lumière fut. Ce qui permit de distinguer des espaces clairs, des espaces d’ombre et des espaces de pénombre. Au moins dans le rêve. Et la lumière fut dite le jour et l’ombre dite la nuit. Et il y eut un soir et il y eut un matin. Mais il manquait quelque chose.

Tout en se doutant bien qu’il manquerait toujours quelque chose, le Verbe – voulant ignorer qu’il se trouvait toujours dans le rêve du rêve de la Stase – voulut créer ce quelque chose qui manquait à ce quelque chose qui était la Stase et n’était pas elle. Et alors, le Verbe fit comme s’il était la Stase. Il commença par décider qu’au commencement était le Verbe. Puis il s’endormit à son tour puisque c’était le septième jour.

Et quand le rêve lui permit de se croire réveillé, le Verbe décida, comme ça, mais ce n’était pas pour rien, qu’il se nommerait la Conscience et que la Conscience continuerait le rêve sans savoir que c’était le rêve du rêve de la Stase. Sans même savoir qu’elle rêve. Et, depuis ce jour, la Conscience continue le rêve du rêve et elle nomme. Elle nomme à tour de bras et elle essaie même de nommer la Stase elle-même. Comme si elle était extérieure à la Stase et la contemplait, comme si la Stase occupait une portion de l’espace et non la totalité d’un non-espace, comme si la Stase avait une histoire, comme si la Stase était composée d’éléments certes innombrables, certes articulés entre eux de façons certes multiples et complexes, mais que la Conscience peut commencer à dénombrer et à comprendre. Et, ce faisant, à tour de bras, la Conscience manque la Stase et construit à sa place (à sa place dans le rêve de la Stase) une image de la Stase qu’elle prend pour la Stase, comme si la Stase se laissait décomposer en parcelles qu’il suffirait de nommer et d’articuler entre elles. Dérisoire et superbe acharnement qui dresse un monde virtuel que le Verbe appelle « le Monde».

*

Quand elle aurait eu créé le Monde, la Conscience se serait rendu compte (plus ou moins) qu’elle n’avait pas créé le Monde mais la possibilité du Monde. Oui, il lui aurait paru plausible qu’à l’extérieur du Verbe, complètement à l’extérieur, existât ou pût exister une étrangeté radicale – le Monde – qui se pose spontanément en face du Verbe pour que celui-ci en prenne connaissance. Comme si la Conscience – faisant mine d’ignorer qu’elle est le Verbe – découpait le Verbe en deux morceaux : d’un côté, le Monde, de l’autre, la Conscience qui le regarde ! Et la Conscience (qui se nommait encore, parfois, elle-même le Verbe) s’attela joyeusement à relever le défi. Malgré les affres des doutes, des échecs, des tâtonnements, des abandons, le Verbe s’aperçut qu’il pouvait pratiquer dans le Monde des découpes qu’il appela des choses. Mais l’ensemble restait fort chaotique.

Alors le Verbe (comme s’appelait encore parfois la Conscience) décida, comme ça, mais ce n’était pas pour rien, qu’il se nommerait aussi la Conscience et que la Conscience était à la fois une et divisible en multiples consciences singulières. Il en inventa une. Il en inventa deux. Et ce ne fut pas facile, bien que cela se réalisât en rêve. Mais quand il y en eut eu deux, alors ce fut beaucoup plus simple : la Conscience s’explosa en innombrables consciences singulières qui, chacune de son côté, purent croire croître et se multiplier. Il y en aurait, dit-on (mais que ne dit-on pas?) près de 7 milliards aujourd’hui. Et la Conscience s’arrangea pour que chaque conscience singulière, prise dans sa propre réflexion, oublie qu’elle n’est qu’une hypostase du Verbe. Et pour que son oubli soit mieux chevillé, la Conscience (qui se souvient toujours plus ou moins qu’elle se meut dans le rêve de la Stase) dota chaque conscience singulière d’un corps qui lui semble renforcer sa singularité.

Et, merveille des merveilles, la Conscience, sous la forme de ses myriades de consciences singulières, se rendit compte que chaque corps singulier fait partie du Monde et qu’il peut lui aussi faire l’objet d’une tentative de connaissance par la Conscience. Ainsi, la Conscience s’ébahit et s’esbaudit de constater en permanence qu’elle fait partie du Monde à la fois et qu’elle est capable de prendre du recul par rapport au Monde, ce qui lui semble garantir à la fois la réalité du Monde et sa propre réalité.

Depuis ce moment, chaque conscience singulière, se voyant dotée d’un corps qui lui paraît différent du corps des autres consciences singulières, est confortée par lui dans le sentiment qu’elle est unique et qu’elle peut se penser à la première personne du singulier. En fait, la Conscience s’amuserait plutôt de cette fatuité car elle n’ignore pas que le corps et l’âme (autre nom de la conscience individuelle) sont fondamentalement identiques, le premier sur le mode de l’étendue ou de l’espace, la seconde sur le mode de la pensée ou du temps, et tous les deux dans le rêve du rêve. Si bien qu’aucune singularité n’échappe ni à la Conscience dont elle n’est qu’un avatar ni à la croyance qu’elle échappe à la Conscience.

Alors, la Conscience de s’endormir sereinement et avec elle les myriades de consciences singulières, chacune en son logis convaincue qu’elle est directement en contact avec le Monde par l’intermédiaire de son corps et qu’il lui est possible, par un coup de baguette magique, de se faire l’héritière de ses ancêtres et de ses contemporaines et, par leur entremise, de participer au contrôle progressif de l’humanité sur l’extérieur : la Nature, le Monde réel. Dorénavant, les choses du Monde, celle qui tombent sous les sens comme celles qui n’apparaissent qu’à l’aide d’instruments qui prolongent et affinent les sens, acquirent ( mais c’était toujours dans le rêve du rêve) une double manière d’être : en tant que choses dites matérielles et en tant que choses pensées.

*

from tapies


Il arriva même – et ce fut merveilleux – qu’un jour, une de ces consciences singulières qu’on appelle un mathématicien, dotant d’un crayon aigu son corps de mathématicien et s’apercevant qu’une des choses du Monde que ses collègues et lui-même appelaient une planète (ils l’avaient prénommée Uranus) semblait suivre une orbite inexplicablement déviée de la seule trajectoire compréhensible, s’avisa qu’en pensant très fort, il inventerait une autre planète, totalement imaginaire, dont la proximité dévierait la trajectoire d’Uranus. Or, à quelques temps de là, celles des consciences singulières les plus férues en astronomie, équipées de surcroît de lunettes qui renforçaient grandement l’acuité de leur vision, se mirent à n’en pas croire leurs yeux en se rendant compte qu’elles apercevaient bien une nouvelle planète à l’endroit précis et au moment précis inventés par le mathématicien et ce fut encore merveilleux : n’était-ce pas là la preuve que la Conscience comprend les règles du Monde et surtout n’était-ce pas là la preuve que le Monde n’est pas une invention du Verbe englué dans le rêve de la Stase ! N’était-ce pas là la preuve que le Verbe existe ?

Quand le Verbe crut se rendre compte, pour la première fois, qu’il existe, il se réveilla de son rêve. Et tout lui fut donné d’un seul coup. Il sut tout de suite que tout lui était donné d’un seul coup. Il s’aperçut alors, et ce fut immédiatement, qu’il était partagé entre l’exultation et la déréliction. Il n’était pas partagé, non, mais son exultation – qui eût dû, croyait-il, s’accompagner d’une jubilation sans nuances – s’encombrait d’inquiétude. Son allégresse, à peine s’élançait-elle qu’elle exigeait d’atteindre déjà la cible vers quoi elle s’élançait : n’était-elle pas seulement la coïncidence de l’élan et de la cible? Et de ne pas l’être, elle s’alourdissait, elle rebroussait chemin, elle pesait dans le même mouvement qui continuait à l’exalter. Il eût fallu pouvoir rester dans l’intense, ne pas recourir, comme le Verbe le faisait déjà, au double noeud du temps et de l’espace.

Alors, le Verbe choisit – mais il savait en même temps que le rêve du rêve choisissait pour lui – de croire qu’il ne s’était pas encore réveillé. Et qu’il se trouvait dans un rêve : un rêve, ça a lieu nulle part; c’est en dehors du temps ; dans un rêve, le temps et l’espace sont dénoués. Dans le rêve, il est possible d’être ou d’avoir été ou de devoir être en même temps ici et là. Dans le rêve, et avant même qu’elles existent, la flèche et la cible coïncident. Dans le rêve, le Verbe savait qu’il était au commencement : là où il n’y a encore rien ; avant que la première chose soit nommée.

Et dans ce rêve – que le Verbe se savait condamné à croire son rêve – le Verbe décidait qu’au commencement était le Verbe. Et il fut la première chose à être nommée. Et alors, le Verbe nomma. Il nomma les cieux et la terre. Ils étaient fort obscures et donc indiscernables. Le Verbe nomma la lumière et, dans le rêve, la lumière fut. Ce qui permit de distinguer des espaces clairs, des espaces d’ombre et des espaces de pénombre. Au moins dans le rêve. Et la lumière fut dite le jour et l’ombre dite la nuit. Et il y eut un soir et il y eut un matin. Mais il manquait quelque chose.

Alors dans le lendemain matin tout neuf, le Verbe nomma les eaux et pour qu’elles ne recouvrissent pas tout et n’interdissent pas la suite, il nomma un espace entre les eaux et les eaux. Cet espace, il le nomma étendue et, pour que l’étendue ne restât pas vide et permît la suite, il y nomma le sec et l’aqueux : l’aqueux fut l’océan et le sec, la terre. Et le Verbe constata que c’était bien. C’était bien parce que son rêve se tenait : on pouvait commencer à penser que ce n’était pas seulement un rêve.

Pourtant, le Verbe restait insatisfait et, tout en se doutant une fois de plus qu’il le serait toujours, il ne nomma pas cela mais il nomma en complément d’objet direct de la terre la verdure, l’herbe qui porterait de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et d’être nommé par le Verbe dans le respect d’une argumentation serrée, cela fut ainsi. La terre produisit de la verdure et de l’herbe portant de la semence selon son espèce et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce.

Et le Verbe se dit que cela était bien et aussi que ça n’était pas suffisant. Le jour, la nuit, la terre, l’océan, la verdure, les plantes, les arbres fruitiers, cela était très bien, très cohérent mais ça manquait de mouvement. Alors, le Verbe chercha des noms et des idées qui pussent s’harmoniser avec ce qu’il avait déjà nommé et donner du mouvement. Il trouva – cela lui parut judicieux – qu’il serait bon qu’il y eût deux astres autour de l’étendue déjà nommée : cela était logique car sinon l’étendue déjà nommée eût été bien réduite par rapport à l’exultation du Verbe. Et les deux astres furent nommés, le premier par la grandeur le soleil – et il présida au jour – le second par la grandeur, la lune -et il présida à la nuit. Et pour qu’on pût croire se rendre compte qu’ils étaient les plus grands, le Verbe adjoignit à leurs noms ceux des étoiles.

*

from soulages

Alors, le Verbe se souvint qu’il était aussi la Conscience et dans le même élan de souvenance, la Conscience se souvint qu’elle était capable d’être à la fois une et divisible en myriades de consciences singulières, chacune dotée d’un corps, chacune en son logis convaincue qu’elle est singulière. Fût-ce à la suite d’une remarque de l’une de ces consciences singulières ? – et dans ce cas, ce fut certainement la première à recevoir l’existence – mais le Verbe s’aperçut alors que la Conscience était et n’était pas le Verbe et que chaque conscience singulière est et n’est pas la Conscience. Et il en fut ennuyé.

Mais comme, sans le savoir (tout en le sachant quand même un peu), le Verbe demeurait dans le rêve du rêve de la Stase, le Verbe s’autorisa à creuser dans l’espace et le temps pour y planter un arbre dont les fruits contiendraient un suc dont il décida, comme ça, mais ce n’était pas pour rien, qu’il donnerait à celui qui en goûterait la puissance de comprendre que la Conscience peut être et n’être pas en même temps le Verbe et que chaque conscience singulière peut être la Conscience et en même temps ne l’être pas. Et le Verbe (mais ce fut peut-être la Conscience) nomma le Monde Eden qui veut dire à la fois celui qui est là où il n’est pas et celui qui n’est pas là où il est.

Et le Verbe mit l’homme et la femme au milieu de l’Eden. L’homme et la femme étaient nus, l’un et l’autre, et ils n’en avaient point honte. Et ils n’avaient point froid. Et ils n’avaient point faim, ni de l’un ni de l’autre, ni des fruits que les arbres du Monde portaient en toute saison sans qu’ils mûrissent ni ne pourrissent. Alors l’homme, s’adressant au Verbe, lui dit Seigneur, sauf soit le respect que j’ai pour toi, on se croirait ici dans le rêve d’un rêveur : dis-moi, toi qui est au commencement et à la fin de tout, toi qui est et n’est pas, dis-moi comment je peux être sûr que je suis éveillé. Dans son extrême sagesse, le Verbe dit à l’homme qu’il n’en serait jamais sûr, sauf – ajouta-t-il – si tu goûtes du fruit de l’Arbre interdit. Et il montra à l’homme l’Arbre au centre de l’Eden, l’Arbre dont le suc donnerait à celui qui en goûterait la puissance de comprendre que la Conscience peut être et n’être pas en même temps le Verbe et que chaque conscience singulière peut être la Conscience et en même temps ne l’être pas.

Alors l’homme, d’un air entendu, hocha longuement la tête. Et la femme lui demanda pourquoi il hochait ainsi longuement la tête d’un air entendu. L’homme ne répondit pas. Et la femme lui dit qu’elle avait parlé avec le plus rusé des animaux, le serpent. Ce n’est pas interdit, dit-elle, et l’homme reconnut qu’elle avait raison. Pour continuer la conversation, il lui demanda ce qu’ils s’étaient dit, le serpent et elle. Et elle répondit que le serpent lui avait dit qu’il était chargé par le Verbe de lui dire que le suc du fruit de l’Arbre interdit donne à celui qui en goûte la puissance de comprendre que le Mal est le Bien et en même temps ne l’est pas. Alors, l’une et l’autre se dirigèrent vers l’Arbre interdit et ils mordirent, l’une puis l’autre, dans un de ses fruits, jusqu’au suc.

*

Rien ne se passa. Ou presque rien. Seulement l’homme et la femme s’aperçurent qu’ils étaient nus et ils en éprouvèrent de la honte. Ils s’aperçurent aussi que la honte est désagréable et en même temps qu’elle ne l’est pas. Et ils eurent froid et ils s’aperçurent aussi qu’en ayant froid ils avaient aussi très chaud s’ils se blotissaient dans les creux l’un de l’autre. Ils s’y endormirent en même temps. Et alors, chacun fit un songe. Chacun, de son côté, fit un songe et dans ce songe, chacun rêva que son rêve rejoignait celui de l’autre. Et dans ce rêve, le Verbe était fort irrité qu’ils eussent osé goûter du fruit défendu et il les chassait de l’Eden, qui signifie le Monde qui est et n’est pas. Le Verbe était fort irrité – dans son rêve, l’homme en fut effrayé – mais en même temps – et dans son rêve, la femme s’en fit la remarque – le Verbe était fort ennuyé.

Chasser l’homme et la femme de l’Eden sans les chasser du Monde supposait que l’Eden ne serait qu’une oasis dans le Monde. Or, l’Eden ne pouvait pas n’être qu’une oasis au milieu du Monde puisque Eden signifie le Monde qui est et qui n’est pas. Agacé par son agacement, le Verbe, par une décision de sa toute-puissance, décida de quand même chasser l’homme et la femme de l’Eden. « Advienne ce que pourra! » dit le songe de la femme au songe de l’homme et l’homme reconnut que la femme avait raison.

À ce moment du rêve, ils crurent se réveiller, et quand il se réveillèrent, l’homme et la femme eurent faim, ils eurent froid aussi, et peur et envie de disparaître, de revenir à l’Eden, de retrouver dans le non-être le bien-être dont ils se souvenaient. La grotte où ils se réveillèrent était ouverte à tous les vents et une tempête se leva qui engouffra les ténèbres dans la grotte. La femme fit un feu, l’azur l’ayant abandonnée et l’homme, allant chercher du bois pour le feu s’aperçut que certains arbres avaient perdu leurs feuilles et lançaient vers les cieux des suppliques sans espoir, que d’autres arbres portaient encore leurs fruits mais comme desséchés ou alors pourris et il ne reconnut pas, parmi eux, l’Arbre interdit.

Alors ils comprirent que ce serait à force de peine qu’ils tireraient désormais la nourriture de leur vie, que le sol avait été maudit et qu’ils n’en tireraient d’abord que des ronces et des épines. Et l’homme comprit qu’ils gagneraient leur pain à la sueur de leurs fronts et la femme comprit qu’elle donnerait la vie dans la douleur. «Advienne ce que pourra! » : ils furent, l’une et l’autre, fort stupéfaits d’avoir rêvé la même chose et cette expression devint pour eux un talisman d’alliance et quand ils la prononçaient, ils savaient, l’homme comme la femme, qu’elle contenait un sens qu’ils ne comprendraient jamais. Et, dans les ténèbres et la tempête, ils s’en réjouirent car ils comprenaient soudain que ce sens n’est pas pour être compris, mais pour faire comprendre qu’en ne le comprenant pas, ils accédaient, la femme comme l’homme,à la science qu’ils avaient goûté en même temps qu’ils goûtaient au suc du fruit de l’Arbre interdit. Le Verbe n’en pouvait mais.

Alors, ils se nourrirent, péniblement, ils se vêtirent, sans grand succès, ils se construisirent de médiocres cabanes et la femme mit au Monde, dans la douleur, des garçons et des filles qui en engendrèrent beaucoup d’autres, parmi lesquels ils nommèrent Noé. Dans leur rêve, l’homme et la femme virent que le Verbe n’en pouvait mais et qu’il s’en irritait fort. Alors ils le louèrent et, du coup, ils crurent comprendre que le Verbe s’adoucissait et qu’il permettait, comme ça, par simple adoucissement, que les premières générations de leur progéniture fussent quasiment en dehors de l’espace et du temps.

Ce furent des géants dont la taille était telle que l’espace autour d’eux perdit sa consistance : ce qui était plan se courbait, l’horizon n’arrêtait plus le regard, l’univers s’agrandissait dans le fur et la mesure qu’ils l’arpentaient et, en même temps, il se réduisait, vu de si loin, à un point immatériel. Ce furent des géants que le Verbe fit vivre si longtemps, pour les plus âgés d’entre eux, que le temps perdit son sens : l’un d’entre eux, et ce ne fut pas le plus sage, et ce ne fut pas Noé, vécut ainsi neuf cent trente années et chacune de ses neuf cent trente années étaient de trois cent soixante jours et chacun de ces jours dura neuf cent trente années. Et, ce pendant,cette durée leur paraissait un instant au regard de ce qu’ils eussent voulu vivre.

*

soulages ment

Alors, le Verbe se fâcha. À nouveau, il se fâcha contre les première progénitures de l’homme et de la femme. Il décida que la méchanceté des hommes était grande sur la terre et que toutes les pensées de leur coeur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. Et dans leur rêve, la femme et l’homme s’aperçurent que le Verbe (ils l’avaient surnommé « Éternel») s’écriait «J’exterminerai de la face de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel; car je me repens de les avoir faits. » La colère de l’Éternel fut telle qu’ils crurent se réveiller, mais il se rendormirent quand ils se rendirent compte, l’homme comme la femme, que l’Éternel avait décidé de sauver celui qu’ils avaient appelé Noé.

Alors, dans leur songe, l’ Éternel dit à Noé que la fin de toute chair est arrêtée par devers moi, car ils ont rempli la terre de violence. Vois : je vais les détruire, eux et la terre. Mais toi, tu vas chercher l’arbre de Gopher. Et l’homme et la femme sourirent, l’un à l’autre, et ils se dirent, l’une à l’autre « Advienne ce que pourra! » car ils croyaient savoir que l’arbre de Gopher produit un bois qui ne pourrit jamais, et ne se déforme pas, et résiste indéfiniment à toutes les eaux, pourvu seulement qu’il soit assemblé selon des agencements précis. Et l’Éternel dit à Noé, en enflant la voix afin que nul n’en ignore, de prendre trois cents coudées puis cinquante coudées puis trente coudées du bois de l’arbre de Gopher. Et d’en faire une arche, enduite de poix, une arche cloisonnée en cellules, une arche de trois étages, une arche avec une seule fenêtre fermée par un volet. Et Noé – qui ne comprenait pas encore ce que l’Éternel voulait, mais qui était un homme de bien faisant aussi parfois le mal – obéit à son Seigneur. Il pensa « Advienne ce que pourra! ».Et l’arche advint.

Et il advint aussi que,l’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s’ouvrirent. Cela sans discontinuer, quarante jours et quarante nuits. Quand la première source s’ouvrit, Noé s’était endormi et il ne l’entendit point. Mais dans son sommeil, il se hâtait de rassembler les plus proches de sa tribu qui venaient se rassurer autour de sa couche et ils apportaient avec eux, qui une paire, mâle et femelle, d’animaux purs,qui une autre, qui encore une autre, tant et si bien qu’il y eut bientôt près de l’arche sept paires d’animaux purs, et puis aussi une paire d’animaux impurs. Et Noé vit Noé les faire entrer par le volet entrouvert de l’arche : entrèrent dans l’arche Noé, Sem, Cham et Japhet, fils de Noé, la femme de Noé et les trois femmes de ses fils avec eux. Eux, et tous les animaux selon leur espèce, tout le bétail selon son espèce, tous les reptiles qui rampent sur la terre selon leur espèce, tous les oiseaux selon leur espèce, tous les petits oiseaux, tout ce qui a des ailes, ils entrèrent dans l’arche auprès de Noé, deux à deux, de toute chair ayant souffle de vie. Il en entra, mâle et femelle, de toute chair, comme Dieu l’avait ordonné à Noé. Puis l’Éternel ferma la porte sur lui.

Les eaux montèrent et montèrent, si bien que l’arche se mit à voguer entre les archipels formés par les sommets des plus hautes montagnes. Enfermés dans l’arche, les êtres survivants découvrirent l’ennui qu’ils combattirent par le sommeil. Ils découvrirent aussi, du moins certains d’entre eux, et plus particulièrement Noé, et plus particulièrement pendant son sommeil, la beauté et le sens de l’ennui et qu’à son occasion, l’intelligence s’illimite. Et dans son sommeil, Noé s’entendit répondre à l’Éternel « Seigneur, je ne t’entends plus, mais il me semble te comprendre ! Suis-je dans l’erreur? » et l’Éternel se tut ou s’il répondit, Noé ne l’entendit pas.

Son rêve déjà lui montrait que les eaux continuaient à monter, si bien que l’arche voguait maintenant sur un seul océan infini. Noé voyait l’infini de l’Océan et il se demandait comment il pouvait le voir puisque l’arche en bois de Gopher était hermétiquement close par la poix et le volet de la porte unique. Et, tandis que les eaux continuaient à monter, cela dura quarante nuits et quarante jours, Noé s’aperçut qu’il apercevait sur l’infini de l’Océan un point minuscule qui ne pouvait être que l’arche. Et il se demanda encore comment il pouvait voir ce point qui rétrécissait dans le fur et la mesure de la montée des eaux et paraissait vouloir se réduire à l’intersection de deux lignes imaginaires qui se seraient croisées. C’est précisément à cet instant, mais il devait s’en apercevoir bien plus tard, qu’il choisit de nommer l’arche Gopher, qui signifie « Advienne ce que pourra! » Au bout de cent cinquante jours, les eaux commencèrent à baisser et Noé se demanda comment il pouvait s’en apercevoir puisque l’arche en bois de Gopher restait hermétiquement close par la poix et le volet de la porte unique. Et il se répondit qu’il ne pouvait pas s’en apercevoir, d’autant moins qu’eût-il jeté un regard par quelque interstice imaginaire sur l’Océan infini, il n’eût point trouvé de repère pour mesurer le niveau des eaux. Et Noé sut qu’il venait de découvrir l’espoir.

Mu par l’espoir, Noé demanda à ses fils d’ouvrir le volet de la porte et de choisir un oiseau dans les cellules de l’arche. Ils lui apportèrent le corbeau mâle et, à la demande de ce dernier, le corbeau femelle. Et ils lâchèrent le couple au dessus de l’infini de l’Océan. Les deux corbeaux revinrent très fatigués et ne voulurent pas repartir. Noé demanda alors la colombe femelle, et il sut qu’il venait de découvrir l’obstination. La colombe s’envola et disparut. Elle revint, portant dans son bec un rameau d’olivier : l’infini de l’Océan se rompait. Elle repartit avec son mâle et ne revint pas.

Noé interdit de refermer le volet de la porte car il lui avait semblé que l’Éternel ne s’y opposerait pas. Et ce faisant, il fit bien. L’an six cent un de son âge, le premier jour du premier mois, Noé et ses fils et les femmes de ceux-ci et leurs enfants virent que l’arche reposait sur la terre ferme. Alors Noé, se souvenant qu’il avait nommé l’arche du nom de Gopher, qui signifie « Advienne ce que pourra », fit descendre à terre sa parentèle et pareillement tous les couples d’animaux, tant l’impur que les purs. Tous les animaux, tous les reptiles, tous les oiseaux, tout ce qui se meut sur la terre, selon leurs espèces, sortirent de l’arche.

Sous l’éclatante giboulée, Noé bâtit un autel à l’ Éternel et il offrit des holocaustes sur l’autel.Sans doute s’endormit-il ensuite car en son coeur, il sentit que l’l'Éternel dit en son coeur: « Je ne maudirai plus la terre, à cause de l’homme, parce que les pensées du coeur de l’homme sont mauvaises dès sa jeunesse; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait. Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point. Soyez féconds, toi et tes fils, multipliez, et remplissez la terre. Vous serez un sujet de crainte et d’effroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains. »

Dans le songe, Noé entendit aussi son Seigneur l’avertir : «Seulement, vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang. Sachez-le aussi, je redemanderai le sang de vos âmes, je le redemanderai à tout animal; et je redemanderai l’âme de l’homme à l’homme, à l’homme qui est son frère. Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé; car j’ai fait l’homme à mon image.». Noé n’y comprenait rien, presque rien, sinon que son rêve, parce qu’il était un rêve et parce que le propre du rêve est de faire que le propre ne soit pas seulement le propre, se refusait à accorder à l’espace et au temps la solidité qu’ils méritent. Alors, il demanda à son rêve (qu’il se mit à appeler son Seigneur) de donner à l’espace et au temps la solidité qu’ils méritent. Et le Seigneur lui répondit : va et ne te fais point de soucis, je donnerai au temps et à l’espace la solidité qu’ils méritent. Et il ajouta : seulement, ne va pas te désespérer s’il arrive que tu ne t’en aperçoives pas. Et il en fut désormais ainsi.

*

Noé mourut et il y eut Abraham. Abraham était fort âgé et sa femme Sarah aussi. Et ils n’avaient point de descendance. Ils s’en lamentèrent longtemps et le temps, ayant désormais la solidité qu’il mérite, accomplissait correctement son travail de temps, si bien que les deux époux devinrent fort vieux, si vieux qu’il arriva un moment où ils se rendirent compte que leurs lamentations n’avaient servi à rien. Il arriva même un moment où – c’était dans l’oasis où Abraham avait conduit son troupeau, non loin de la montagne – ils éprouvèrent du plaisir à savoir que leurs lamentations ne serviraient à rien. Et, ils s’en réjouirent car ainsi ils découvrirent sur leur corps des espaces qu’ils ne connaissaient point. Sarah avait éclaté de rire en disant : quand je pense que… et Abraham reconnut qu’elle avait raison. Et il lui dit qu’en l’honneur de la nuit dans cet oasis près de la montagne, ils appelleraient Ithzac l’éclat de rire de Sarah. Et Sarah accepta tout en précisant que, pour sa part, Ithzac signifierait plutôt l’éclat de rire d’Abraham quand il avait entendu l’éclat de rire de Sarah. Et il en fut ainsi.


D’oasis en oasis, autour de la montagne, le troupeau d’Abraham et Sarah se reposait la nuit. Ithzac revenait souvent quand Abraham et Sarah se visitaient et il devint vite pour eux un jeune homme amusé qui les regardait rire. Et quand il les regardait rire, ils devinaient l’un et l’autre que leur rire devenait sourire. Et Sarah s’attendrissait, tandis qu’à son côté Abraham endormi devinait ses pensées.

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M point B tiret L

La nouvelle qui suit (et qui existe aussi, ICI, en version .pdf) a déjà été publiée, sous une forme à peine différente, dans un autre blog. Lookingformartin accompagne un roman – dont je laisse découvrir l’auteur(e) – qui m’a beaucoup intéressé pour plusieurs raisons et notamment parce qu’il me semble reposer sur le contraste entre un style vif, aigu, direct et l’histoire comme en creux d’un personnage, Martin, qui peut paraître insupportablement sûr de lui mais qui se décompose, se décontenance, s’évide en permanence. L’auteur(e) ne serait peut-être pas d’accord avec cette manière de lire son roman, mais tant pis !


L’auteur(e) joue d’ailleurs le jeu en proposant aux visiteurs de lookingformartin d’imaginer qu’ils ont un jour rencontré Martin dans des circonstances qu’ils sont libres de choisir. Pour l’instant, seuls ceux qui ont lu le manuscrit du roman (il n’est pas encore publié) sont en mesure de participer à ce jeu, mais j’espère vivement qu’il sera mis en ligne rapidement. Ayant lu le manuscrit, j’avoue m’être laissé prendre au jeu. Notamment, j’ai réagi à (ou contre) un chapitre secondaire de ce texte où il est question du regard jeté par Martin sur une dame nettement plus âgée que lui, nettement mieux posée que lui dans la vie et néammoins fort attirée par lui. Je n’aime tellement pas ce genre de regards que j’ai voulu faire comprendre à Martin mon indignation intérieure, sûr qu’il peut la comprendre, en écrivant cette nouvelle !

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Autour de la blogosphère

M.B-L n’était pas satisfaite d’elle-même. Et elle trouvait que ça lui arrivait plus souvent qu’à son tour, quoique bien des personnes de son entourage eussent volontiers détesté sa suffisance. C’est du moins un défaut qu’on lui attribuait souvent. Pourtant, une fois de plus, M.B-L n’était pas satisfaite d’elle-même.

M point B tiret L : M.B-L affectait de s’irriter contre cette appellation qu’elle avait d’ailleurs fini par adopter, même quand elle se parlait à elle-même, mais qui lui paraissait trop marquée par son milieu. Il y avait déjà NKM, BHL, DSK, pourquoi pas MBL. Non ! M.B-L ! Certes, elle ne détestait pas qu’au fond de sa province, la presse locale assimile la bourgeoisie de la petite ville, ou du moins ses éléments les plus remarquables, aux « bobos » de Paris, mais plus bobo en cela qu’elle ne le pensait, elle tançait souvent son entourage quand il singeait d’un peu près les manies attribuées à cette classe que tout le monde déteste. D’ailleurs pour montrer sa différence, elle ne votait pas à gauche, mais plutôt à droite. Et parfois, à la gauche de la gauche ! Une partie de sa réputation (enviable) de suffisance venait d’ailleurs de là.

Mais, cette fois, elle n’était vraiment pas satisfaite d’elle-même. Bon, déjà, son entreprise, un peu éhontée, pour séduire Martin, le jeune gaillard du parking, avait échoué pour l’instant, mais ce n’était pas le plus grave. Elle avait bien d’autres moyens pour vérifier la réalité charnelle de son existence au près des hommes et puis l’échec était sans doute provisoire. Non : ce qui la gênait le plus dans cette histoire, c’est qu’elle avait poussé la conscience professionnelle jusqu’à demander au bon Google de chercher du côté de ses moteurs ce que donnerait « Martin+parking+X », avec les guillemets. Par décence, nous désignons par X*** la petite ville dont il est question ici. Et elle était arrivée ainsi sur un blog d’écrivain très centré sur Martin. Et ce qu’elle y avait trouvé ne lui plaisait pas du tout.

D’abord, le blog ne permettait pas de distinguer nettement Martin et l’auteur et M.B-L avait l’impression en en feuilletant les pages que Martin était sans doute un simple personnage de roman. Certes, il paraissait devoir en être le héros, comme on dit, mais le roman n’était même pas encore publié et il est assez humiliant pour une femme d’âge de s’escrimer (en vain!) à séduire un gigolo de papier. D’autant que le site jouait à inviter les visiteurs à chercher s’ils n’avaient pas un jour croisé le chemin de Martin. Or, justement, une visiteuse affirmait avoir entrevu le mec et le trouver plutôt sympa, sauf sur un point : elle n’aimait pas, mais alors pas du tout, la manière dont Martin se comportait avec Madame Mireille Bertin-Lachaut ! M.B-L avait sursauté. Et attendu avec une impatience adolescente la prochaine livraison du blog.

Et cette fois, elle avait été servie ! Pas moins de deux billets avaient été postés depuis son dernier passage. Dans l’un, la visiteuse usurpait son identité pour feindre d’envoyer à l’auteur une mise au point que M.B-L n’aurait jamais écrite ainsi. Dans l’autre, l’auteur répondait à la missive en copiant/collant le chapitre qui, dans le roman, parle de Martin et de Mireille Bertin-Lachaut ! (voir là) Le pire, c’était que ce chapitre est écrit avec des précisions toutes aussi inexactes les unes que les autres mais toutes aussi plausibles les unes que les autres. M.B-L n’ignorait pas que dans un roman le plausible suffit à garantir l’effet de réel. D’ailleurs, lisant ce texte, n’avait-elle pas eu envie de vraiment gifler Martin ? Il est vrai qu’en même temps, mais cela allait dans le même sens, elle avait atténué le coup pour mieux sentir sur ses doigts la barbe naissante du malotru.

On le reconnaîtra : il y avait là de quoi ne pas être satisfaite de soi. Les noms d’oiseaux volèrent bas dans son for intérieur. Elle s’exaspéra d’autant plus qu’ils s’adressaient autant à Martin qu’au gestionnaire du parking, autant à l’auteur – qu’elle commença même à soupçonner d’être une femme – qu’à sa visiteuse de blog, autant à M.B-L qu’à Mireille Bertin-Lachaut. Elle s’était montré aussi bien trop conne en apportant ses gâteaux/gâteries à ce goujat. Mais l’Auteure (elle lui posa une majuscule pour pouvoir lui coller la marque du féminin à l’arrière!) n’avait pas non plus jouer franc-jeu en lui taxant ses nom et prénom et en la transformant en parangon des vices de la bourgeoisie locale. Cette pouffe allait même jusqu’à se déguiser mal derrière une bête visiteuse. Si sotte que ça, la visiteuse ?

L’accès de mélancolie dura au moins quelques minutes: le temps qu’il lui fallut pour se rendre compte que la situation n’était sans doute pas aussi inextricable (elle dit bien « inextricable » et ce mot faillit bien la faire redémarrer dans le désarroi), pas aussi inextricable qu’elle l’avait cru. Car enfin il y avait dans le billet laissé par la fausse visiteuse des remarques sur lesquelles M.B-L pourrait s’appuyer pour une contre-attaque. Ah, on voulait, sous prétexte de littérature, la dénigrer en tant que représentante de la bourgeoisie locale, en faire une mal baisée mal baisant rendue hors d’usage par l’âge et la richesse ! Et bien, on allait voir ce qu’on allait voir ! Et d’abord, le Martin, elle allait se le mettre dans son lit.

*

Un petit chat qu’on appelait Mitsou.

En remplaçant une passion par une autre, l’évocation acheva de la calmer. Même si sa rêverie ne parvenait pas à choisir entre plusieurs scènes possibles (plausibles!) : on y voyait notamment un gestionnaire de parking paralysé par l’élégance si présente dans la chambre de M.B-L (qu’elle partageait d’ailleurs avec son vieux mari) et le même gestionnaire, tout aussi décontenancé, mais cette fois par le contraste entre le bordel de la pièce où il posait son grabat et l’aspect aimablement bien rangé des dessous de la dame, M.B-L appréciait la confusion entre les deux situations. Son âge (justement!) lui avait au moins appris que le désir et surtout le plaisir se meuvent à l’aise dans ce genre de confusions. Mais – conservant en elle comme un reliquat de sa colère précédente – elle sut veiller à ce que cette aise aussi plausible que réelle ne lui fît pas oublier sa volonté de vengeance.

Ah, mon bonhomme, tu as voulu m’humilier en refusant mes avances, et bien tu vas voir ce que tu vas voir ! Et M.B-L de se mettre à décrire avec force précisions, toutes aussi exagérées les uns que les autres et surtout toutes, ou pratiquement toutes, censurées par le respect humain que son éducation lui avait inculqué, malgré qu’elle en eût eu, les effets physiologiques visibles de la décontenance de son amant. Il se voulait conquérant balzacien, il aurait un fiasco stendhalien ! Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir soudain et fort l’envie de pleurer.

M.B-L n’était point femme à se retenir de pleurer, ni de quoi que ce soit, quand elle en avait fort envie. Elle pleura sans larmes : elle n’ignorait pas qu’ainsi le visage et son regard durcissent et qu’il se passe alors ce qui se passe souvent pendant l’amour, quand ne subsiste que le masque exténué de l’attention la plus extrême à l’instant vécu. Qui l’aurait aperçue ainsi n’eût pas manqué de se sentir minuscule et de se taire. Mais elle était seule.

Elle se ressaisit alors, c’est-à-dire qu’elle en revint à une habitude ancienne qui avait fait ses preuves. Elle s’offrit un retour en arrière des plus classiques. Elle savait bien que revoir sa vie est impossible et sans doute parce qu’on ne peut pas revoir ce qu’on n’a jamais vu, mais il lui était souvent arrivé de constater qu’en inventant tel ou tel événement sur son passé, elle y trouvait matière à croire oublier le présent, même si l’événement évoqué n’était pas joli-joli, comme elle disait. Elle se mit à rêver à Mitsou, un des premiers petits chats qu’elle eût jamais. Pour oublier Martin et son blog, elle crut bon, la pauvre, de penser à un chaton !

M.B-L s’imagina qu’à douze-treize ans, ses parents lui avaient offert Mitsou sans doute à l’occasion d’un gros chagrin dont, présentement, elle se souciait comme de l’an Quarante. Certes, elle ne pouvait pas douter avoir eu un jour (et même, ricana-t-elle, plusieurs jours) douze-treize ans, ni avoir reçu un chat ou un chien en cadeau de consolation, mais elle n’ignorait pas (et elle s’en contre-fichait) que ce chat pouvait très bien ne s’être jamais appelé Mitsou.


Mitsou avait donc été un petit animal tout noir, aux yeux si brillants qu’on ne pouvait douter de son inconvenance. Pour la famille de la future M.B-L et pour l’éducation qu’elle avait imposée à la fillette, briller des yeux relevait nécessairement de l’inconvenance, comme écarter les coudes à table et les genoux à chaise. Mitsou avait maintes fois permis de vérifier l’exactitude de ces mises en garde, bien qu’on fût déjà dans les « Sixtees ». Il griffait de partout et partout. Rien ne lui résistait : ni les meubles dont il se refusait à reconnaître le style, ni le cuir des canapés qu’il traitait comme du skaï, ni les genoux, même serrés, de sa maîtresse aux parents de laquelle il offrait, apparemment sans le savoir, un prétexte pour refuser le raccourcissement des jupes et même des robes. À un demi-siècle d’intervalle ou presque, M.B-L s’imagina qu’elle s’était imaginé que Mitsou était responsable du caractère insupportablement sage des vêtures choisies par sa mère !

En fait, elle n’avait jamais douté que ce fût encore un coup de la démocratie-chrétienne, fort prisée par la famille. La petite ville de X***, comme ses campagnes environnantes, a finalement accepté la République assez tôt dans le siècle XIX, à la condition que celle-ci accepte de son côté la main-mise culturelle et foncière de l’Église sur la région. Les Lachaut avaient eu un aïeul député et plusieurs de leurs ancêtres avaient été maires ici et là, tout en développant, de façon que la tradition familiale considérait comme intelligente, l’entreprise de marrons glacés créée par le député. D’ailleurs, la confiserie que son mari lui avait achetée permettait encore à M.B-L d’exhiber sur certains desserts la manchette « existe depuis 1878″. Bien avant Mitsou.

Cependant, il faut reconnaître à la famille Lachaut (en tout cas, personne ne manquait de le signaler) que les gestionnaires de l’entreprise de marrons glacés avaient toujours su associer leurs employés, même quand ils commencèrent à se syndiquer, aux bénéfices de leur réussite : salaires légèrement supérieurs à la moyenne locale (il est vrai particulièrement basse), salle de réunion pour l’aumônerie, cadeaux pour les enfants lors des fêtes liturgiques et même, parfois, une bourse pour donner de l’instruction aux plus méritants. C’est sans doute cette tradition sociale et chrétienne qui avait permis aux marrons glacés d’échapper aux grèves du Front Populaire.

Bien que la documentation se montre fort peu prolixe sur ce point et cette époque, il semble que l’entreprise et la famille traversèrent le second conflit mondial sans vraiment choisir entre résistance et collaboration. Mais le père de la future M.B-L se retrouva ensuite à la tête d’une section d’un parti aujourd’hui bien oublié et qui s’intitulait bravement le mouvement républicain populaire. Quand Mitsou et ses inconvenances furent offerts à Mireille Lachaut, le mouvement républicain populaire existait encore et le père de notre héroïne tenait toujours à ce qu’il gardât son indépendance (bienveillante) par rapport à de Gaulle.


On le voit sans doute : évoquer Mitsou avait permis à M.B-L d’oublier Martin sans vraiment l’oublier. Sans vraiment l’oublier, car le paysage socialement lisse qu’en bonne Lachaut M.B-L se représentait bien partagé entre la haute bourgeoisie locale et le reste de la société vivant en bonne intelligence durant les temps bénis d’avant les « Sixtees », ce paysage était frôlé de près par des silhouettes intruses, inquiétantes, aussi irréelles que les liens imaginaires de bénévolence et de gentillesse qui le constituaient. Silhouettes de la lutte des classes, mal rasées, musculeuses, parfois avinées, lourdement soviétiques, elles évoquaient, par pillage et viol, la fin d’un monde. Et, gonné comme l’as de pique, souvent farouche et sûr de lui, le Martin du parking les rameutait sur les devants de conscience. D’urgence, il fallait en revenir à Mitsou.


La gaminette de douze/treize ans en avait eu vite assez de ce chat devenu adulte et qui ajoutait de nouvelles inconvenances aux anciennes. D’autant que sa mère lui reprochait de mal s’en occuper. Aussi, un jour, fut-il décidé de le porter chez le vétérinaire, un ami de la famille, pour une castration vite fait bien fait, comme on eût aimé, sans se l’avouer même au confessionnal, qu’y passassent aussi les prolétaires récalcitrants. Or, Mitsou se révéla beaucoup plus anarchiste que marxiste et, dans la salle d’attente, où la mère et la fille passèrent pourtant avant les autres clients, au lieu de haranguer la faune du lieu pour qu’elle se donnât la main, il sauta de son panier et prit la porte. On n’entendit plus jamais parler de lui. Bon débarras.

*

Un beau mariage.

Mais elle ne parvint pas à se débarrasser comme ça de Martin et surtout du blog de son Auteure. Oui, décidément c’était une femme. Certes, dans un billet, celle-ci avouait son genre, mais à la première lecture, M.B-L y avait vu une entourloupe supplémentaire de l’auteur. D’autant qu’un échange entre un faux visiteur et l’écrivain sur la naissance de Martin, avec digression inattendue sur l’accouchement, lui avait paru plus que suspect. Maintenant, elle se convainquait que l’écrivain était bien une femme.

Elle relut le billet qui avait pour titre « Chère madame Bertin-Lachaut » : oui, seule une femme… Mais elle se reprit: qu’en savait-elle après tout? M.B-L croyait avoir découvert, l’expérience aidant, donc au fil déjà long des années, qu’il n’y a pas plus de psychologie féminine que de psychologie masculine. Nous lui laisserons la responsabilité de cette conviction, même quand elle la généralisait à l’ensemble des groupes, classes, races, nations, territoires dans lesquels il est d’usage d’enfermer les individus, même les plus inqualifiables d’entre eux. « Une personne reste une personne » disait-elle souvent  » et il est criminel de la juger sur la classe à laquelle elle semble appartenir, sur le faciès qu’elle semble porter, sur son passeport… ». C’est sur de telles assertions que s’était établie sa réputation de suffisance.

Elle était quand même convaincue que l’auteur du roman était une auteure. Et pas seulement parce qu’elle affichait son genre. Voilà qui eût pu en dire long sur sa propre personne, si seulement elle avait tendu l’oreille !

Il est vrai que la dite Auteure s’enferrait dans ce dernier billet, allant jusqu’à mettre en doute certaines affirmations qu’elle lui avaient attribuées en rédigeant – à la place de la prétendue signataire ! – l’intervention de Mireille Bertin-Lachaut. Avec une certaine perspicacité, l’Auteure avait fait dire à M.B-L (ou plutôt à son simulacre) que son envie de mettre le jeune Martin dans son lit n’était pas la conséquence de ses déceptions conjugales. Mais dans la réplique qu’elle avait ensuite placée dans le blog, elle s’était permis de persifler sur ces dernières. Et là, M.B-L voulait réagir.

Elle n’ignorait pas qu’il est de bon ton, quand on conteste l’ordre établi, d’affirmer que les liens du mariage en milieu « bourge » sont dépourvus de toute richesse charnelle. Elle n’ignorait pas non plus, et pour cause, que l’éducation démocrate-chrétienne a longtemps essayé de réduire le sexe à la portion congrue. Elle pensait, elle aussi, que beaucoup des bourgeoises de son entourage rêvaient, rêvaient au moins, de compenser par quelques extras la médiocrité du quotidien. Elle avait même cru longtemps qu’au delà de la soixantaine, il est rare que le déduit – surtout conjugal – conserve un quelconque intérêt. Quand elle avait été en âge de vérifier, elle avait pu constater qu’elle s’était trompée.

Elle s’était mariée, très jeune et dans des circonstances qui avaient un peu défrayé la chronique locale, à une époque où la morale démocrate-chrétienne paraissait mise à mal par l’air du temps. Elle était alors en Terminale Lettre du Lycée de L’Immaculée-Conception et avait été élue par ses condisciples pour les représenter au Conseil d’Administration de cet établissement privé. Bien entendu, les trois ou quatre délégués des élèves n’avaient pas vraiment droit au chapitre, mais ils siégeaient vraiment autour de la même table que les représentants du personnel, de ceux de l’administration, des parents d’élèves et surtout de la Mairie. C’est ainsi que Mlle Lachaut était assise aux côtés de M.Bertin, un trentenaire sémillant, bon causeur et qui s’amusait beaucoup à scandaliser les plus réactionnaires. Il avait ainsi proposé, sans insister, que la prière du matin fût remplacée par une minute de silence, que les tabliers roses des filles fussent plus multicolorés et légèrement raccourcis, que l’Histoire Contemporaine tînt enfin compte de la période qui avait suivi la Grande Guerre.

Sa voisine avait à chaque fois voté en faveur de ces propositions avec un enthousiasme juvénile qui n’avait certes pas emporté la conviction de la majorité du Conseil, mais lui avait attiré, à la sortie de la dernière réunion, juste avant le bac, une demande en mariage qu’elle avait acceptée de transmettre à ses parents. C’est ainsi que Mireille Lachaut, fille unique du confiseur bien connu, convola en noces justes avec Monsieur Bertin, du barreau de Y*** Ils avaient engendré, dans des délais raisonnables, un garçon et une fille, avant que le temps et les quinze ans de différence d’âge entre M.B-L et son époux ne déliassent quelque peu ce couple.

Mais M.B-L, agacée par le sourire sarcastique (ben, voyons!) qu’elle attribuait à Martin, ajoutait aussitôt que les libertés qu’ils prirent assez vite avec la morale démocrate-chrétienne n’empêchaient pas « et peut-être, au contraire » l’entente conjugale, notamment en matière de galipettes. Quand Bertin, septuagénaire avenant, riche, soigné, attentif avait ajouté à cette kyrielle d’épithètes une impuissance certaine, M.B-L sut inventer avec lui des jeux si efficaces que la tendresse s’ensuivit. N’en déplaise à l’Auteure et à son Martin.

M.B-L n’était pas mécontente de son retour en arrière. Comme presque toujours, le subterfuge lui avait permis de laisser à sa colère de la bride pour se calmer. Elle se calma donc. Se calmer présentait malgré tout un inconvénient de taille : se calmant, elle se retrouva devant la nécessité de trouver un stratagème pour s’envoyer le Martin.

*


Sociologie de la tartelette.voir aussi ici

Elle ne pouvait pas continuer à échanger avec lui quelques mots, anodins d’un côté, narquois de l’autre, pendant que d’une main, il lui tenait la portière et de l’autre, mais c’était la gauche, il s’apprêtait à mordre avec appétit dans la dernière tartelette qu’elle lui avait apportée. N’en déplût à l’Auteure – qui exagérait vraiment sur ce sujet dans le chapitre copié/collé – Martin appréciait une friandise qui reposait sur près de 130 années de conscience professionnelle. L’Auteure avait même poussé la perversité jusqu’à reproduire, pour illustrer le billet où elle feignait de répondre à Madame Bertin-Lachaut, la photographie d’une pâtisserie assez infâme par sa couleur (un mélange de lilas et de bruns à vomir) , sa forme (assez proche des cadeaux canins qui déshonorent les trottoirs de X*** ) et surtout ses petites dragées mauves en forme de cœur. Et ça, elle ne l’emporterait pas au paradis.

tartelette


Quelques jours plus tard, M;B-L décida qu’aujourd’hui, elle ne prendrait pas la voiture. Et elle se rendit au café « Les Lucioles » où elle savait que Martin avait ses habitudes. C’est Paul, l’unique serveur qui le lui avait dit. Le parking et le café sont assez proches l’un de l’autre, mais M.B-L n’avait plus l’habitude de traverser sa ville à pied, et elle fut un peu décontenancée par ce qu’elle en aperçut.


Les quelques commerces ancestraux qui exposaient encore leurs vieilleries mercières, chapelières, voire alimentaires, il y avait quelques années, avaient été remplacés par des boutiques de fringues et surtout des agences bancaires. Les trottoirs avaient été refaits à neuf et même élargis dans la zone semi-piétonnière. C’était agréable à première vue et cela sonnait plutôt moderne. D’ailleurs, comme à Paris ou à Y***, les piétons semblaient manier le téléphone mobile avec une maestria certaine, à peine encombrée par quelque réticence venue du fond provincial des âges et de l’intimité. Elle fut quand même surprise, et agréablement, par la multiplication des vieillards – grâce à une mise soignée, c’est avec dignité qu’ils titubaient sans déambulateur – mais aussi des Arabes que les rues semblaient avoir adoptés plutôt facilement. M.B-L se sentit très jeune, bien qu’elle eût sans doute à peu près le même âge que les chibanis maghrébins dont elle contournait les groupes. De façon assez idiote (si l’on pouvait en croire les épithètes qu’elle s’adressa), elle sentit que Martin eût approuvé son aisance dans ce quartier populaire de cette ville bourgeoise.

Elle ne connaissait pas vraiment Paul, le serveur des « Lucioles », mais la seule fois où elle s’était assise à la terrasse, il n’avait pas pu s’empêcher de nouer la conversation, sans se gêner pour la regarder droit dans les yeux et sur la bouche. Elle lui avait avoué, sans y attacher d’importance, qu’elle ne connaissait plus de la ville que le parking et son préposé. « Ah ! Martin ! » avait-il soupiré, plaçant un point d’exclamation là où plusieurs points d’interrogation eussent été nécessaires. Oui, elle croyait qu’il s’appelait Martin. C’est ainsi qu’elle avait appris que Martin venait souvent aux « Lucioles ».Si elle s’y rendait aujourd’hui, c’est qu’elle voulait essayer d’en apprendre un peu plus sur les habitudes du préposé.

Paul se précipita vers elle, tout en rectifiant vite son profil dans le reflet d’une vitre. Le commercial parfait qu’il savait être en même temps que Don Juan d’arrière-boutique prit la commande et lui laissa l’initiative. Elle ne pouvait venir que pour lui, cette Mireille Bertin-Lachaut. Quand il revint avec la menthe-à-l’eau que la douceur du temps rendait appréciable, il lui montra qu’il l’avait doublement reconnue, en la remerciant d’avoir quitté un instant son salon de thé pour sa modeste terrasse et en lui précisant que Martin ne venait jamais à cette heure. Il sut même cacher sa déception ( se dit-elle avec une certaine fatuité que l’Auteure aurait peut-être dite « de classe ») quand elle chercha à lui faire préciser quel était le moment le plus favorable pour rencontrer Martin. Pour l’aider à surmonter son dépit (et donner de la réalité à celui-ci) M.B-L se fit même très Mireille Bertin-Lachaut en le félicitant pour les aménagements de sa terrasse et en ajoutant que ça lui donnait des idées pour le salon de thé. Elle fit si bien, d’ailleurs, que Paul crut voir son heure arriver.

M.L-B ne détestait pas les hommages masculins, surtout quand ils n’engagent à rien. Semblable en cela à bien des femmes, elle ignorait, elle ne voulait pas savoir, que beaucoup de mâles sont plus féminins qu’on ne pense et que ne s’engager à rien vis-à-vis de l’un d’eux peut blesser en lui telle ou telle intimité dont il ne soupçonnait pas l’existence. Fût-ce le cas pour Paul ? M.B-L – on ne le sait que trop – n’avait lu du roman dont Martin était le héros que le chapitre mis en ligne par l’Auteure et croyait deviner que le serveur était encore plus accessoire que la confiseuse pour Martin. Ce qui était probablement faux. Mais au regard de qui ?

Il n’osa pas s’asseoir à côté d’elle et elle se dit, bien sûr, qu’il préférait sans doute rester debout pour plonger plus facilement du regard dans un décolleté un peu imprudent. Elle put d’ailleurs constater que son chemisier de style n’allait pas dans ce sens et elle refusa de se laisser offrir une seconde menthe-à-l’eau. Retrouvant sans y prendre garde la suffisance que lui reprochait son entourage, M.B-L se leva assez brusquement en disant, mon dieu, mon dieu, j’oubliais que ma manucure doit m’attendre chez moi. Et ciao, Paolo.

Elle avait eu le renseignement espéré et pouvait donc peaufiner son stratagème.

*

Ceci n’est pas une tragédie classique.

M.B-L se serait bien vue arrivant aux « Lucioles » vers 20 heures, alors que Martin est déjà au comptoir à échanger quelques mots avec la barmaid, avant de prendre un guéridon et de se faire servir par Paul. Comme un stratagème envisagé demeure un rêve, il est comme le rêve, le contraire d’une tragédie classique : il ne respecte ni l’unité du temps, ni celle du lieu, ni même celle de l’action.

M.B-L ne s’interdit donc pas de faire le Paul à la fois cligner de l’œil à son adresse pour lui montrer Martin et se servir du même œil, ouvert, fermé, ouvert, deux fois de suite, pour signaler à Martin qu’il avait une visite. Martin hausserait les épaules, mais quand même… Et Paul, de se demander comment il pouvait bien faire pour que les femmes lui tombent dans les bras sans qu’il y accorde de l’importance.

Quant à M.B-L, assez sottement (elle était la première à le reconnaître), elle penserait exciter la jalousie de Martin en offrant à Paul la compensation d’un très léger flirt qu’elle imaginait plutôt flatteur pour le barman. Elle lui confie donc (ou lui confierait, ou lui avait confié donc) qu’elle s’ennuyait trop fort chez elle pour y rester et que leurs échanges de l’après-midi l’avaient conduite à penser aux « Lucioles ».

Dans cette version des faits, M.B-L n’alla pas plus loin et elle ne sut jamais ce que Paul lui avait alors répliqué. En revanche, elle se souvint plus tard que Martin s’était assez brusquement levé (brusquement, pour satisfaire l’amour-propre de M.B-L, mais pas trop brusquement, pour respecter l’image que l’Auteure se fait de son Martin) pour se diriger vers Paul et sa cliente. Quoique son côté midinette eût envisagé sérieusement une algarade entre les deux copains, elle n’alla pas plus loin dans cette voie et se contenta de deux variantes conduites parallèlement.

Première variante : Martin, sûr de lui et de son charme (Mireille Bertin-Lachaut s’en laisse chavirer l’émotion), la salue bien bas (un peu trop), expédie Paul au reste de sa clientèle, plutôt nombreuse à ce moment, et lui demande s’il peut s’asseoir à sa table. Bien entendu, d’accord avec l’Auteure, elle n’a pas le temps de lui répondre et il s’assied d’autorité. Il leur commande deux demis (« et un entier, un ! » annonce Paul) et lui fait remarquer qu’il la préfère sans tartelette à la main. Bien entendu, elle ne sait pas ce qu’elle réplique, mais elle réplique, c’est sûr, et de manière telle qu’elle devrait montrer au malotrus qu’elle a plus d’esprit qu’il ne le croit. Le malotrus étant un malotrus ne comprend pas sa finesse. Elle non plus d’ailleurs et cela met fin à la première variante.

Deuxième variante : Martin, sûr de lui et de son charme (Mireille Bertin-Lachaut s’en laisse chavirer l’émotion bien que M.B-L lui conseille de faire gaffe), la salue vaguement (un peu trop vaguement) et passe devant elle (devant eux!) et sort de la terrasse. Alors, n’écoutant que son courage, et oubliant au passage de consommer la menthe-à-l’eau que Paul tiendrait, bien entendu, à sa disposition, elle emboîte le pas au fuyard. Qui accélère.

Bien que cette accélération confère (oui, c’est le mot que M.B-L utiliserait!) à sa silhouette l’allure un peu piteuse, surtout vue de dos, de quelqu’un qui commence à douter d’avoir fait le bon choix, elle trouve que son charme n’en souffre pas. Un charme un peu penaud (dans le jean éternel, le mâle fessier se réduit à presque rien), mais que Mireille Bertin-Lachaut considère – malgré qu’en ait M.B-L – avec un attendrissement quasi maternel. Elle pourrait le rattraper, mais elle se retient et c’est lui qui s’arrête brusquement : non, elle ne le heurte pas, elle est midinette, mais quand même… S’arrêterait brusquement et lui demanderait (non : il ne lui demanderait pas pourquoi elle le harcèle ainsi) et lui demanderait si elle ne trouve pas que Paul est obsédé par les femmes. Dans sa situation, c’est difficile pour elle de trouver une réponse élégante et M.B-L se tient coite.

Martin prend donc Mireille Bertin-Lachaut par le bras :il serre et lui fait un peu mal, mais elle préfère car ainsi, se dit-elle, il sent moins la fonte musculaire qui la tracasse depuis quelques temps. Elle se laisserait guider par lui. Jusqu’à l’immeuble où il a son studio : elle n’imagine pas Martin autrement qu’en célibataire, mais maintenant, elle se pose la question. Ne la tranchant pas (car elle manque de temps), elle abandonne l’idée du studio pour un petit appartement, un F2 par exemple, qu’elle situe à l’étage d’un de ces petits immeubles crépis de gris du quartier de la Poste.

Ils sont maintenant chez lui. « Dans mon bordel », lui fait-elle dire. Et elle se fait répondre qu’elle ne peut pas lui répliquer que c’est au contraire tout à fait coquet, car c’est vrai, il est difficile de trouver un endroit pour s’asseoir. La logique du moment voudrait que Martin débarrasse un coin de son grabat pour lui faire un peu de place. Mais cet enchaînement se heurte en M.B-L à l’idéologie démocrate-chrétienne revue et corrigée début siècle XXI et comme elle n’a pas plus à respecter la concordance des temps que celle des lieux, c’est dans sa villa des Hauts de Ville que Mireille Bertin-Lachaut invite Martin à pénétrer. C’est d’ailleurs une bonne idée car elle sent aussitôt la prise de la poigne de Martin sur son bras se desserrer nettement.

Se rend-il compte de l’élégance des pièces qu’il traverse avant qu’ils n’entrent dans la chambre conjugale ? Madame Bertin-Lachaut ne pose pas la question, pas plus qu’elle ne choisit parmi les réponses possibles. Elle devrait être trop pressée par la situation. Oui mais, oui mais M.B-L se rend alors compte que Martin est bien un personnage de roman. Pas n’importe quel personnage. Et pas n’importe quel roman. Il n’est pas un acteur assez accessoire dans une petite nouvelle de rien du tout, mais le héros et le narrateur d’un roman solide et bien ficelé même s’il se termine sans doute sur des points de suspension.

C’est pourquoi, elle le voit, au moment où la Bertin-Lachaut sent se desserrer l’étreinte sur sa fonte musculaire, se décontenancer soudain. M.B-L invente, bien sûr, cette décontenance, et elle le sait, mais elle éprouve une telle urgence de l’inventer qu’elle perçoit l’effondrement intime de Martin comme une certitude. C’est d’ailleurs beau l’effondrement intime et momentané d’un quadragénaire sûr de lui et un peu bourru et M.B-L serait presque fière de son invention. Honteuse aussi et pour les mêmes mauvaises raisons.

*

Une comédie peut en cacher une autre.

Quelque part ou nulle part, un jeune homme mal rasé et qui plaît aux filles et qui s’en fout s’enfonce un peu derrière son éternelle écharpe et trouble les coordonnées de ceux qu’il croise ou qu’il pourrait croiser. Elle ne peut pas le demander à l’Auteure, mais M.B-L devine que le roman dont Martin est le héros contient aussi l’histoire d’un autre personnage. Homme ou femme, elle ne se décide pas, relation amicale ou amoureuse, elle ne se décide pas : quelqu’un qui serait en creux. Une présence qui réoriente toute la vie de Martin mais comme en absence : un être qui vous manquerait encore, après vous avoir manqué longtemps, comme s’il avait disparu sans que vous sachiez ni pourquoi ni comment.

Et vous êtes là, droite sur vos escarpins, solidement arrimée à votre statut social, disposant grâce à lui des balises, des haubans, des étais, des échafaudages qui vous posent une femme bientôt sexagénaire dans la vie, ou quadragénaire solitaire, à l’inélégance recherchée, dissident sans risque pour personne, jaloux efficace de votre indépendance d’esprit, bougon mais gentiment, gentil mais ironique, affable parfois et distant souvent, et soudain (non ! ce n’est pas brutal, ce n’est pas contondant, ce serait plutôt comme la déchirure sournoise d’une étoffe mouillée), vos certitudes s’évident.

Elles ne s’effondrent pas, ce serait trop beau d’apercevoir à leur place un vide béant circonscrit tel un cratère, non, elles s’affalent de travers, vos évidences, elles glissent, elles dérapent selon des guingois mal fagotés : vous êtes toujours là, debout, Mireille Bertin-Lachaut ou Martin quelque chose, mais vous n’y êtes déjà plus. La présence in abstentiam de celui ou celle qui est en creux, et qui n’existe peut-être pas et qui n’existe peut-être plus, retire de la substance à votre entité. C’est comme si vous aviez appris, non, que vous avez appris, non, que vous êtes, encore une fois, en train d’apprendre qu’un être cher – et dont vous ignoriez jusqu’à maintenant qu’il vous était si cher – vient de se tuer volontairement sans vous laisser d’explication. Cela fuit de partout.

Un ange passe et laisse Mireille Bertin-Lachaut seule dans la chambre. M.B-L veut la voir se baisser pour attraper un de ses escarpins qui a glissé sous le lit conjugal et, se baissant, apercevoir par la baie sur laquelle flotte une mousseline un paysage inattendu. Ce n’est pas un paysage : à la place du paysage attendu -les perspectives paysagères sur l’horizon de falaises et de montagnes – elle zoome sur l’écorce d’un très vieux châtaignier (c’est un frêne mais peu importe, elle a toujours été nulle en botanique, elle a toujours été nulle), d’un très vieux châtaignier dont les déchirures ligneuses prennent allure minérale. Atteinte d’une myopie qu’elle ne se connaissait pas, elle perçoit que son regard se fixe sur une de ces diaclases, grise, grenue.

Il ne s’y fixe pas, il y est happé, c’est un rapt. Quelqu’un alors s’évanouit, s’aperçoit soudain qu’il s’est évanoui, anéanti. Et qu’aussi soudainement, passé de l’autre côté, quelqu’un ou quelque chose, peut-être rien, est le tout. Le tout qui ne bouge pas, qui ne bougera pas, qui n’a jamais bougé. Et quand M.B-L voit Madame Bertin-Lachaut revenir à elle, elle sait qu’elle remplit de sa légère existence l’être-là du monde. C’est le premier matin du monde. Provisoirement.

L’être-là du monde, un escarpin à la main et le teint un peu rosi par l’effort qu’elle vient de faire, se retrouve maintenant en centre-ville, laissant derrière elle les Lucioles, Paul et Martin. Mais pas M.B-L ! Celle-ci rentre au logis, sans passer par la confiserie. À cette heure, la petite ville de X***, comme les autres, a entamé sa sieste nocturne et les talons de Mireille Bertin-Lachaut sonnent fièrement sur les trottoirs déserts. Dans le silence ambiant, les bruits de la journée s’entendent encore un peu et c’est sans doute pourquoi les talons de notre marcheuse résonnent à la manière d’une cloche fêlée dont le son éveille des nostalgies d’automne. On a envie de pleurer. On en est fière. C’est la vie.

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Quant au 6 ce sera là. Et là pour le 7.

8.

Il se passa alors, que revenant à lui, il exista de nouveau. Avec une certitude en lui qui prenait la forme d’un souvenir. Oui, c’était bien ça : il savait que ce n’était pas un souvenir à proprement parler, puisqu’un existant ne se souvient que de son existence alors qu’il avait bel et bien inexisté, mais il percevait la persistance d’une sensation surprenante car elle semblait provenir d’un sixième sens dont tout existant ne peut qu’ignorer la présence. Il en était sûr : il y avait eu, dans l’instant du disparaître et du retour, la manifestation d’un sens qui avait rassemblé en une seule sensation ce que les cinq autres ordinairement nous apportent séparément.

Il n’avait pas seulement vu en myope l’épaississement ligneux de l’écorce crevassée, il en avait entendu le son – comme au loin, tout près, une clarine dans le silence -, humé l’odeur – et c’était celle du premier pollen – , touché le grenu, goûté la saveur – et la salive s’enrobait d’amertume -, lors même que l’épaississement ligneux de l’écorce crevassée avait disparu lui aussi comme tout existant.

C’était un sens et ce n’était pas un sens : d’une impression sensorielle, il y avait ce caractère invasif et global qui saisit l’existant pénétré par la présence du monde, il y avait aussi cet appel à la perception qui va permettre à l’existant d’intégrer la présence du monde à son existence, mais ce ne pouvait pas être une impression sensorielle car, d’être à la fois entendue, vue, humée, goûtée, touchée, dans un geste unique, elle se dépouillait de toute matérialité et se révélait idéelle.

Oui, c’était son entendement – Abou Ya’qûb aurait sans doute parlé de son âme – qui lui avait montré qu’il avait un instant coïncidé avec l’être en tant qu’être, qu’un instant il avait aperçu l’éternité de cet instant. Notre chauve et ses dyskératoses s’étaient soudain détachés de tout, vivant soudain dans l’intensité, hors de l’espace et même – un moment – en dehors du temps. Doté, de façon assez inattendue, d’une merveilleuse myopie, il avait zoomé au point d’entrer dans la texture matérielle du monde, comme un existant moyen atteint le pigment dans le vernis, la ridule dans le tissu de la peau nue, la brisure du désir dans le regard le plus hautain, le semis de rousseurs dans le velours du cœur de la fleur de cerisier. Et la texture matérielle du monde s’était évanouie, soudain réintégrée et à l’aise dans le tout de l’être. Et lui-même, en tant qu’existant, s’était effacé, complètement, soudain intégré, réintégré et à l’aise dans le tout de l’être.

Revenant à l’existence, il sut qu’il ne l’avait jamais quittée. Et ce savoir relevait à la fois de l’étant et de l’existant : son anéantissement provisoire – et aussi bien la promotion qui l’avait accompagné et qui n’aurait pu être sans cet anéantissement – lui avait révélé qu’il était à la fois l’être en tant qu’être (et donc un étant à l’état pur) et que son impureté (son existence) n’avait d’impur (ou d’ombreux, ou de mal ) que le vocabulaire dont il se servait pour l’évoquer : son existence n’était ni impure, ni ombreuse, mais seulement (et glorieusement) nécessaire pour que – Lumière sur Lumière – l’être en tant qu’être puisse s’apparaître et se réfléchir.

Notre homme ne fut pas le dernier à se rendre compte qu’il y avait quelque chose de comique dans cette extase mystique, venue si à propos lui apporter l’assise convaincante que le raisonnement ismaélien, peut-être mal compris, n’était pas capable de lui apporter. Oui, sa calvitie déjà ancienne, les taches qu’elle laissait apparaître, les hasards qui l’avaient conduit à la lecture du premier écrit de « Trilogie Ismaélienne », son inscription dans le temps et l’espace, la mort inéluctable qui va avec, toute cette finitude ordinairement source de bien des drames et des tragédies venait de subir une promotion vers le sublime qui invitait au moins à en sourire. La seule personne parmi ses contemporains devant laquelle il avait pu évoquer la chose lui avait fait comprendre, tendrement mais clairement, qu’elle avait envie d’en rire, tant c’était risible, voire burlesque, éventuellement grotesque. Mille ans avant, comment Abou Ya’qûb Sejestani aurait-il réagi ? Mille ans plus tard, on n’en sait toujours rien.

En revanche, notre héros, piqué au vif par l’invasion des moqueries, mais aussi, intimement convaincu qu’il ne les méritait pas, ou alors, averti par certains écrits de Victor Hugo sur l’extrême parenté du tragique et du grotesque au sein du sublime, ou encore, habitué à cacher sa gêne derrière les gamineries des zygomatiques, ou même peut-être et piteusement, influencé par l’envie de rire qui le prenait si souvent quand il entendait un discours sur la condition humaine ou la grandeur nationale ou les révolutions populaires, notre héros décida de ne pas en démordre.


Il n’en démordit donc point. Mais il n’en garda pas pour autant les mâchoires serrées.

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7.

On le voit peut-être : notre homme, faisant les demandes comme les réponses, et sans doute les réponses avant les demandes, en arriva à considérer d’un autre œil les tergiversations alambiquées de Abou Ya’qûb. Bien que Henry Corbin en appréciât la profondeur, il laissa de côté les calculs minutieux et un rien obsessionnels sur les rapports entre les chiffres, les nombres, les lettres de l’alphabet arabe des Fatimides, les Imams, les Anges, les Génies, les Démons, pour concentrer son attention sur l’idée même de correspondance qui semblait avoir tant tenu à cœur aux Ismaéliens.

Abou Ya’qûb Sejestani, en ne l’interrompant pas, lui confirma le bien-fondé de ce choix. De ce fait qui n’en était pas vraiment un, notre homme alla jusqu’à y voir – et sans avoir envie de hausser les épaules – ce qui permettait au sage ismaélien, au terme d’une ascèse voulue absolue qui le dépouillait de l’existant pour s’approcher de l’étant le plus pur, d’appréhender, sans recourir ni au temps ni à l’espace, la coïncidence qui rendait le sage comme consubstantiel à l’Âme Universelle, au Logos, au Principe Instaurateur, à l’étre en tant qu’être. Oui, il en arriva à penser avec Abou Ya’qûb que le faire-être instaurateur aboutit, à l’issue d’un cheminement logique immédiat, à un croire-exister. Un croire-exister où la croyance est tellement invasive qu’il est la définition même de l’existence.

En lui – il était grand, chauve, malencontreux, âgé, pathologiquement lucide, sans amertume – il lui arrivait de découvrir, de craindre de découvrir, que cette croyance soit surtout de la crédulité. Et, pour ne pas être surpris par cette découverte, il anticipait sur elle, en en arrivant à s’énerver contre Abou Ya’qûb Sejestani dont le mysticisme rationnel et imperturbable lui paraissait avoir ignoré l’encombrement mensonger et perturbant de la recherche rationnelle. Mais, à mille ans d’intervalle, et même si ce millénaire n’est rien au regard de l’aveuglante éternité, son agacement lui paraissait devoir paraître bien véniel au sage Ismaélien.

Bref : notre homme sentait ou commençait à pressentir qu’il devait – pour que sa croyance fût enfin une croyance pure, non mêlée d’un soupçon de crédulité – l’asseoir sur une assise plus solide qu’un raisonnement à contorsions multiples. Il lui fallait de belles et bonnes intuitions dans lesquelles étant et existant se confondraient.

Or, à quelques temps de là, mais toujours dans ce millénaire qui n’en finit pas, il arriva soudain que notre grincheux sans amertume, alors assis ou se croyant assis dans son jardin à terrasses sur une grosse pierre en forme de banc, près d’un très vieux cerisier gommant roux de toutes ses cicatrices, se sentit disparaître.
Il ne disparut pas en un éclair, mais en un éclair il s’aperçut qu’il avait disparu.

Anéanti. Absorbé dans l’écorce du vieux cerisier qu’il regardait l’instant d’auparavant. Non, pas dans l’écorce du vieux cerisier : à force de la contempler en myope, il l’avait annihilée, n’en voyant plus qu’une anfractuosité ligneuse, si ligneuse même qu’elle en devenait minérale et qu’elle le happait. Mais le happant, elle se réduisait encore plus à la boursouflure ponctuelle qui en gênait l’entrée. Et soudain, il se rendit compte qu’il ne se rendait plus compte de rien, qu’il disparaissait, qu’il avait disparu.

Dans le moment même où il appréhendait le tout, le tout l’appréhendait : il était le tout. Ayant comme franchi l’infranchissable limite qui ferait frontière entre ce qui n’admet pas de limite et ce qui n’est que limite, un existant quelconque se retrouvait étant à l’état pur. Et par l’entremise immédiate de l’étant à l’état pur, l’être en tant qu’être se présentait, éternel, immobile, infini, ponctuel.

(à suivre:8)

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6.


L’Âme Universelle n’est pas un étant à l’état pur et son impureté coïncide avec son attachement à la matière, à telle ou telle forme de la matière. Engendrée par le Principe en tant que faire-être, l’Âme est un étant, mais douée pour s’associer avec la matière (ou accablée par ce don), elle est aux choses du monde ce que le Logos est aux idées pures : un recensement intégral. Encore, un livre !

Bien qu’il sentît – sans parvenir à se concentrer sur ce sentiment – que l’important résidait plutôt dans l’enchâssement des livres les uns dans les autres, notre homme pencha sa calvitie de moins en moins précoce pour voir comment Abou Ya’qûb Sejestani feuilletait l’Âme Universelle. Il s’aperçut alors que l’Ancien s’efforçait de démontrer en quoi l’Âme n’est pas un étant pur, en quoi elle est donc un étant impur, en quoi elle est donc ombrée, en quoi elle fait donc ses places au Mal, sachant ou voulant savoir que le faire-être (le Principe), intégralement Lumière, comme par définition, ne peut pas engendrer l’impur, l’ombre, le Mal.

Certes notre lecteur tardif se rendait bien compte que Abou Ya’qûb utilisait ici un tour de passe-passe – puisque, subrepticement, il passait de la Lumière métaphorique à la lumière réelle – mais il choisit de s’y laisser prendre. Et il ne rechigna point quand le Sejestani suggéra fortement que l’ombre (l’impureté, le mal) surgit justement de la différence qui sépare ontologiquement la Lumière du faire-être engendrant la Première Intelligence et la Lumière du faire-être engendrant l’Âme. Il alla même jusqu’à vérifier matériellement – il réussit pour cela à retrouver une bougie toute neuve oubliée au fond d’un tiroir – que s’il éclairait électriquement son bureau et s’il ajoutait à la lumière de l’ampoule puissante l’apport de la lumière timide de la bougie, alors il faisait effectivement apparaître des ombres et des pénombres et même qu’elle étaient dansantes. La différence des lumières, allusion à la différence des Lumières, suggérait des traces ombreuses, amorces d’un relief physique, celui de l’univers matériel, celui de la matière.

Il comprit alors (il crut comprendre, le pauvret ! il voulut comprendre) que Abou Ya’qûb Sejestani considère que la relation interne du Principe et de l’Âme Universelle (il dit quelque part « la contemplation » de l’Âme par le Principe) produit le mouvement en imagination qui fait éclore la Matière, laquelle est impuissante à se manifester soi-même : il lui faut l’aide de la forme, laquelle est la Nature, la Matière étant par définition ce qui ne peut se manifester qu’avec l’aide de quelque chose. C’est écrit tel quel, à la page 109 du livre d’occasion à 15 euros.

Bien que les catégories utilisées par le penseur ismaélien n’entrassent point dans l’inventaire de celles qu’il avait apprises lors de ses études, notre héroïque lecteur crut alors comprendre que Lumière sur Lumière, comme lumière sur lumière, fait exister l’ombre, les pénombres, l’impur, le mal, la Matière, le mouvement, le temps, l’espace, la Nature et cœtera, toutes ces choses réelles ou rêvées qui existent, et nous parmi elles.Une espèce particulièrement retorse de trompe-l’œil qui fait exister l’œil qu’il trompe.

Retorse? Pourquoi retorse? La controverse millénaire rebondit alors entre nos deux protagonistes. L’un s’obstinait à déclarer retorse cette dialectique qui, faisant surgir l’ombre de la lumière, en profitait pour fonder en fragile existence des êtres si évanescents qu’ils ne pouvaient que douter d’eux-mêmes. L’autre semblait lui répliquer – mais, au fur et à mesure du débat, il devint évident qu’il parlait sans s’occuper de son contradicteur, attitude qu’il eut vite en commun avec ce dernier – semblait lui répliquer que faire surgir l’ombre de la lumière, surtout quand la lumière est la Lumière du Principe instaurateur, confère à ces ombres graciles la dignité ontologique : étants impurs, ces inexistants n’en étaient pas moins des étants. D’indubitables étants qui ne pouvaient douter de leur existence personnelle (quand en plus c’étaient des existants humains) sans remettre en question l’être en tant qu’être.

Mais justement – et, à cet instant, notre chauve héros donna l’impression (mensongère, certainement) qu’il avait entendu la réplique de Abou Ya’qûb Sejestani – mais justement, la flamboyante construction ismaélienne (le Principe Instaurateur, la Première Intelligence ou Logos, l’Âme universelle et tout le tintouin avec ou sans majuscules) ne s’effondre-t-elle pas d’elle-même si elle est décrite par ces existants falots dont la pâleur est à grand peine rehaussée par des maquillages artificiels ? Il alla de soi que la question n’était pas posée pour recevoir une réponse. Elle en reçut quand même une, mais de l’interrogateur lui-même.

Si l’être en tant qu’être c’est le Principe – ce que ne semblait pas contester notre contemporain -, si ce Principe instaure ou fait être la Première Intelligence – ce dont il convenait volontiers -, si dans la même logique, le Principe fait être l’Âme universelle – cela restait recevable – alors il ne serait pas inconcevable que les existants, ou du moins certains d’entre eux, les existants humains, soient à l’image de l’Âme, quelque chose d’impur certes mais quelque chose qui est un étant et qui – étant un étant – procède logiquement de l’être en tant qu’être.

De ce point de vue (« le point de vue de l’œil destiné à être trompé » maugréait-il souvent) les âmes individuelles, qui émanent de l’Âme Universelle, demeurent des étants qui, comme tels, sont consubstantiels au Principe, au même titre que l’ombre, les pénombres, l’impur, le mal, la Matière, le mouvement, le temps, l’espace, la Nature et cœtera, toutes ces choses réelles ou rêvées qui existent, et nous parmi elles. Oui, un trompe-l’œil, mais seulement dans la mesure où chaque existant individuel reste un étant et donc consubstantiel à l’Âme, et donc consubstantiel à la Première Intelligence, et donc consubstantiel au Principe instaurateur, et donc impossible à tromper. Impossible à tromper, il sait de source sûre que l’Âme universelle lui confère l’obligation d’exister, c’est-à-dire de croire exister. De croire exister pleinement, dans le bonheur comme dans le malheur, dans le drame comme dans le calme plat.

(à suivre :7.)

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5.

Il y eut, à mille ans d’intervalle, une controverse entre Abou Ya’qûb Sejestani et son lecteur tardif, car ce dernier crut comprendre que le penseur ismaélien (et donc musulman) lui reprochait soit de dénier au Coran sa qualité de livre suprême en la transférant au Logos, soit d’identifier le Coran et le Logos, erreur grave qui dénierait au livre sacré de l’Islam la moindre existence. Sans doute, eût-il fallu attendre mille ans pour connaître l’issue de la controverse, mais notre héros déguisait sous des dehors plutôt flegmatiques une impulsivité intellectuelle qu’il espérait rare et qui se traduisit par un haussement d’épaules, même pas excédé : l’important n’était-il pas de se mettre d’accord (ce qu’ils firent) sur cet étant suprême, le Sâbiq, que Henry Corbin traduit par Première Intelligence ?

La Première Intelligence, ils en convinrent, contient idéellement (c’est-à-dire en tant que propositions logiques, en tant qu’idées) les moindres détails de ce qui fut et de ce qui sera, mais aussi de ce qui ne fut pas et de ce qui ne sera pas ou peut-être pas. Elle est donc comme un réservoir des explications possibles du monde, y compris celles qui ne seront jamais utilisées, y compris celles qui valident les crimes les plus affreux (commis ou seulement rêvés), les aberrations les plus incompréhensibles ou les utopies les plus délirantes. Tout s’y trouve en idées : le passé comme le futur, l’indicatif comme le conditionnel ou le subjonctif, les galaxies connues ou les galaxies inconnues… Chacun de ces détails est un étant, mais pas un existant, car pour qu’un étant soit un existant il lui faut se matérialiser, acte impossible au sein de la Première Intelligence. En ce sein – qui ignore superbement la matérialité des distances temporelles ou spatiales, et qui n’est donc pas un sein – se trouvent les idées et seulement elles et absolument toutes : bien qu’elles soient en nombre infini, on sait de façon certaine (les philosophes disent : de façon apodictique) qu’elles y sont toutes. La Première Intelligence ou Logos est telle qu’elle contient, infuses, l’ensemble infini des propositions possibles dont seulement une partie infime se matérialise, non, se concrétise, non, semble se réaliser….

Profitant de la convivialité minimale que toute controverse suppose, notre être humain du millénaire se mit à questionner Abou Ya’qûb (ou du moins son bouquin) sur la suite, c’est-à-dire sur la Seconde Intelligence. L’Ismaélien fit une grimace polie et remarqua d’abord qu’il ne s’agit pas de suite. Pas du tout, puisque le Principe (ou faire-être) n’est en rien soumis au temps ou à l’espace : les enchaînements qu’il fait être ne sont pas chronologiques mais logiques. Même l’enchaînement Principe/Première Intelligence ne définit ni un temps ni un espace pour y installer à part la Première Intelligence. Celle-ci est consubstantielle au Principe, elle n’en est pas la suite. Ce qu’on pourrait être tenté de nommer Seconde Intelligence est fait être dans la même logique que la Première Intelligence est faite être. Elle ne vient pas après, ni même d’ailleurs en même temps, puisque pour faire être, le Principe n’a pas besoin du temps. C’est pourquoi Abou Ya’qûb parle de Tâli et son traducteur, Henry Corbin, de l’Âme Universelle.

Bien entendu, notre exégète contemporain manifesta une moue à la fois dubitative et sarcastique. Mais c’était certainement plus pour dissimuler sa gêne que pour provoquer une réplique de son adversaire. Il en arrivait, en effet, à s’apercevoir – en fouillant dans ses mémoires culturelles – que l’âme n’a pas toujours été considérée comme cette évanescence vaguement spirituelle voletant autour de son corps et qu’il fut un temps, certes moyenâgeux, où théologiens et philosophes donnaient à « Animus » une force matérielle à vous couper, justement, le souffle. Pas si bête que ça, l’Henry Corbin, de traduire Tâli par Âme Universelle. Pour les Ismaéliens, l’évocation de l’Âme permet à la réflexion de décrire le premier étant qui ne soit pas un étant à l’état pur.

(à suivre :6

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4

Abou Ya’qûb Sejestani avait parfaitement conscience ( la langue, ici, nous joue un de ses tours : il avait imparfaitement conscience!), comme ses semblables, les doctes de l’ismaélisme, que la pensée humaine ne peut pas examiner l’être en tant qu’être autrement que par des allusions imagées condamnées nécessairement à l’échec, puisqu’elles peuvent au mieux espérer saisir un aspect de l’être en tant qu’être, alors que celui-ci se présente comme un tout indécomposable en aspects. Lui seul pourrait se saisir. Ce qu’il fait d’ailleurs : Abou Ya’qûb Sejestani en était convaincu. Mille ans plus tard, son lecteur aléatoire croyait partager cette conviction.

Qu’on y songe (et notre héros provisoire y songeait!) : deux images semblent s’imposer à l’ontologue comme à l’apprenti ontologue. D’une part, l’être en tant que tel est évocable par la pensée humaine sous l’image d’un espace infini englobant non seulement l’univers mais tous les univers possibles, imaginables et inimaginables. D’autre part, l’être en tant que tel est évocable par la pensée humaine sous l’image d’un point physique ou mathématique concentrant dans son intensité tous les possibles et les impossibles, les imaginables comme les inimaginables. Le pire – pensait notre être humain du fin fond de sa province – c’est que non seulement ces deux images s’excluent l’une l’autre mais qu’en outre et en même temps, elles ne s’excluent pas ! C’est d’ailleurs pourquoi notre lecteur, mille ans plus tard, découvrit avec reconnaissance ce que Henry Corbin faisait Abou Ya’qûb Sejestani appeler, dans son Livre des Sources, le Principe. Ça lui parut génial !

Certes, cela reste une image, mais l’assimilation de l’être en tant qu’être au Principe lui parut permettre à l’entendement humain de dépasser le conflit des deux métaphores de l’infini et du point. Le Principe, échappant comme tout principe logique à l’espace et au temps, est facilement assimilable à un point, mais ce point – ce point logique, mathématique et non physique – contient en lui les propositions logiques qui émanent de son caractère de prémisse. Mais la langue nous trompe, surtout quand il s’agit de traduire, et nous suggère que cette émanation s’effectue dans le temps et l’espace. Or, il n’en serait rien : il ne s’agit pas ici d’une effusion mais d’une infusion. Les effets, conséquences, corollaires, lemmes et théorèmes qui émanent du Principe n’en sortent pas. Ils restent contenus en lui et demeurent ses contemporains.

Dans une note de commentaire, ajoutée par Henry Corbin à sa traduction du Livre des Sources, notre homme s’aperçut que le philosophe traducteur signale que, pour Abou Ya’qûb Sejestani, l’être en tant qu’être est pensé non pas (surtout pas !) comme un étant mais comme un « faire-être », comme un « instaurateur ». Le faire-être est le Principe dans la mesure où il déduit de lui-même, et tout en restant un point, ce que l’Ismaélien nomme le Sâbiq, que Corbin traduit par « Première Intelligence ». Dans un point, il n’y a pas de distance, ni spatiale ni temporelle, et il ne faudrait pas voir – et ici, on ne sait plus si c’est l’auteur, son traducteur ou leur lecteur qui parle – entre le Principe et la Première Intelligence autre chose qu’une sorte de déduction logique : le Principe n’est ni avant ni devant ni au-delà ni en-deçà de la Première Intelligence et la Première Intelligence n’est ni après, ni derrière le Principe. Puisque le Principe est faire-être, la Première Intelligence s’en déduit logiquement (et immédiatement) comme le premier étant. Ah, mais ! Et c’est même un étant « à l’état pur » doté d’une réalité idéale unique ne comportant aucun vis-à-vis. Et débrouille-toi avec ça !

Notre homme se gratta la tête – constatant une fois de plus que l’exposition de sa calvitie aux rayons solaires y avait multiplié des dyskératoses antipathiques mais qui n’avaient rien à voir avec la Première Intelligence, quoiqu’elles fussent, elles aussi, des étants – ce qui ne l’aida pas beaucoup. Mais un peu quand même, car l’allusion à des étants de seconde zone sembla le conduire à maintenir sa pensée sur cet étant particulier, et même hors-classe. Spatialement et temporellement inséparable du Principe, la Première Intelligence s’identifia pour lui à ce que certains de ses maîtres en philosophie khâgneuse appelaient Logos. Mais si Logos est un étant, c’est qu’il est nécessaire de ne pas confondre étant et existant. Le Logos n’est pas un existant car il n’a pas besoin de la matière pour être. Pour les Grecs, c’est la rationalité qui articule entre elles les idées archétypes qui formeraient comme le texte d’un livre où tout est écrit : possible, réel, imaginaire, erreurs, mensonges. Finalement, c’est plutôt habile d’appeler cela La Première Intelligence.

(à suivre : 5)

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Nouvelle ontologique

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3

Donc (quelle merveilleuse conjonction qui semble coordonner des propositions qui ne peuvent être pour l’instant que juxtaposées !), donc, mille ans avant cette sorte de foire aux livres qui permit à un être humain contemporain de se procurer le texte du Livre des Sources, Abou Ya’qûb Sejestani s’intéressa par écrit à l’être.

Oui : pas à tel ou tel étant ou groupe d’étants, mais à l’être. Non : pas à l’être en soi, ou pas seulement. Mais à l’être. Le lecteur de ce texte comprit vite que ce serait difficile mais comme une certaine habitude l’avait déjà orienté vers ce genre de difficulté, il voulut s’obstiner, croyant sans doute, le pauvre, qu’habitude vaut habileté! Donc, il s’obstina et comprit ou crut comprendre, grâce à la traduction, que Abou Ya’qûb Sejestani utilise deux appelations pour désigner l’être. Il l’invoque sous le nom de Dieu, au vocatif, – d’une façon qui évoque la shahada, la profession de foi musulmane – surtout pour réaffirmer qu’on ne peut rien en dire sinon qu’il est. Mais surtout (surtout, parce qu’un traité d’ontologie ne peut pas en rester au vocatif), il le qualifie (oui, juste après avoir affirmé que l’être, étant le tout, est inqualifiable), il le qualifie de « Principe » (obligeamment Henry Corbin nous prévient qu’il traduit ainsi le mot arabe de Mobdi’) : non pas, le principe premier, mais le Principe.

Qu’on puisse ainsi identifier Dieu ou quelque divinité que ce soit (et surtout si on pense qu’elle est la seule, l’unique) à une sorte de prémisse logique dans un raisonnement incita d’abord notre lecteur tout neuf à ricaner : ou bien Abou Ya’qûb Sejestani, l’esprit obscurci par ses croyances religieuses, ne voyait pas la contradiction, ou bien, il la voyait mais il s’en accommodait par prudence… Il commença donc à ricaner, mais s’arrêta tout net quand il se rendit compte qu’il n’y avait contradiction que pour un esprit simpliste qui eût confondu le raisonnement logique dont le Principe constitue la prémisse avec n’importe quelle ratiocination du quotidien du genre le lait bout (prémisse) donc il va déborder, baisse le gaz sous la casserole. Et il ne s’agit pas de cela.

La force et l’intérêt de la pensée ismaélienne (de cette pensée ismaélienne là) c’est qu’elle tente de se maintenir au niveau de l’être en tant qu’être, sans s’attarder à le diviniser. Elle identifie bien l’être et Dieu, elle s’adresse même à Dieu comme à une personne supra-humaine, mais une fois ce salut exécuté dans des formes acceptables pour la culture locale, elle se développe en examinant de façon pointue le concept de l’être en tant qu’être.

Rien de plus éloigné de cette attitude intellectuelle que le Dieu horloger parfois envisagé par Descartes et qui, ayant créé l’horloge du monde et ses ressorts en mouvements perpétuels, n’a plus ensuite qu’à la laisser fonctionner sans plus s’occuper d’elle ou en n’intervenant qu’en cas de dysfonctionnement. « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. » dirait Voltaire un peu plus tard. Pour Abou Ya’qûb Sejestani, Dieu n’est pas une divinité qui aurait, un jour, décidé de créer le monde, comme d’une pichenette et qui n’aurait plus eu ensuite qu’à le laisser courir sur son erre parfaite. Pour Abou Ya’qûb Sejestani, Dieu est un concept et c’est pourquoi il l’appelle le Principe.

Là, notre lecteur aléatoire de Trilogie Ismaélienne était à son affaire. Car il avait le défaut de prendre l’ontologie fort au sérieux, pour des raisons souvent obscures aux yeux de ses interlocuteurs auxquels il affirmait régulièrement qu’il faut en passer par cette obscurité avant de comprendre son intérêt. S’il était évident (du moins, à ses yeux) qu’il en était passé par là, il lui arrivait de penser, et surtout de sentir, qu’il n’en avait pas fini avec sa traversée de la confusion. Alors, Abou Ya’qûb Sejestani lui parut tout à coup susceptible de le prendre par la main pour l’aider à en sortir. En voilà un qui ne reculait pas devant la difficulté !

(à suivre :4.)

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Mille ans plus tard ou à peu près …

Nouvelle ontologique

On trouvera ici le 1.

2

En effet, il s’aperçut – mieux : il voulut s’apercevoir! – que ces textes semblent dans ce qu’il appelait, sans doute un peu légèrement, le droit fil de sa propre réflexion. Certes, ils lui parurent abscons et d’une abscondité fort éloignée de celle qu’il utilisait alors si volontiers, mais pourtant capables de provoquer en lui quelque chose (mais quoi?) qui s’apparentait à de la compréhension. S’il ne pouvait pas ne pas remarquer la lenteur de sa lecture, crayon en main et recours fréquent aux dictionnaires de la Toile, et le caractère myope de cette lecture, il acceptait de pressentir qu’un certain cheminement s’esquissait parfois. Au point qu’il eut souvent envie de mettre noir sur blanc ces esquisses ou leurs ébauches. Noir sur blanc était sans doute beaucoup dire car il arrivait souvent que le noir fût moins gris que le blanc. Ce qui après tout est assez adéquat pour un commentaire de commentaire à propos de quelque chose qui s’intitule « Lumière sur Lumière ».

Le temps qu’il passa à entreprendre sa lecture lui parut d’abord fort long (et lui interdit matériellement d’aller au-delà du premier des trois textes ismaéliens) mais, à la réflexion, notre être humain se dit que ce temps est dérisoire au regard des mille ans qui semblent séparer l’époque actuelle de l’époque fatimide : un instant par rapport à l’éternité. Qu’un millier d’années soient assimilables à l’éternité lui parut d’ailleurs vite bizarre sans qu’il parvînt à déceler si son étonnement venait du texte qu’il s’efforçait de lire, de ce fameux droit fil de sa réflexion du moment ou du simple calcul élémentaire qui rapporterait ce millier d’années aux multiples milliards d’années que notre galaxie est censée avoir déjà vécues. Sans parler, bien entendu, des « années lumière » de l’univers.

Le premier des trois textes ( et donc le seul qu’il eût le temps d’essayer de lire) a pour titre Le Livre des Sources dans la traduction de Henry Corbin, mais celui-ci, bien sûr, nous précise qu’il s’agit, en arabe, de Kitâb al-Yanabi’ . Son auteur est un incertain Abou Ya’qûb Sejestani, être humain de l’époque fatimide, qu’il est préférable (pour des raisons que la suite rendra sans doute plus claires) de ne confondre ni avec l’auteur de ces lignes, ni avec celui qui est en passe d’en devenir le héros, ni avec Henry Corbin, ni avec tout autre être, humain ou pas, qui viendrait à être évoqué par la suite. Pour les mêmes raisons, il n’est pas indispensable de se documenter sur l’époque fatimide. Notre homme vous dirait que moins vous en savez sur elle et moins vous serez handicapés par des connaissances nécessairement inadéquates !

( à suivre 3)

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Mille ans plus tard ou à peu près …

Nouvelle ontologique

1

Cette nouvelle est saucissonnée en huit morceaux, pour en faciliter la lecture. Je ne sais pas si le procédé sera efficace et je prépare une version .pdf qui sera annoncée ici.

Mille ans plus tard, ou à peu près, un être humain – parcourant sans y prendre vraiment garde quelque marché dans un de ces endroits du monde qu’on qualifie volontiers de « fin fond » – eut son regard arrêté, sur l’étal surchargé de livres d’un poste de vente, par un volume très simple, ou qui lui parut tel, seulement décoré sur sa première de couverture par de la calligraphie arabe qu’il ne savait pas lire. En d’autres temps qui appartenaient à la même durée, il avait pu avoir entre les mains un autre ouvrage du même auteur, ouvrage dont il n’avait pas mené la lecture à son terme – il ne savait plus pourquoi, l’avait-il jamais su ? – mais qui l’avait suffisamment intéressé pour qu’il se fût promis, un peu négligemment comme on se promet ce genre de choses, d’y revenir.

Notre être humain prit donc le livre et le feuilleta, se doutant bien que le feuilletant il trouverait, outre le prix de vente de cette occasion, la référence du dessin calligraphié. C’était une calligraphie inspirée par le verset XXXIV, 15 du Coran et la référence précisait que ce verset est connu sous le nom « Lumière sur Lumière ». Notre être humain ne se dit pas – mais il aurait pu se dire – qu’il n’y avait là rien qui pût retenir son attention qui, à ce moment, se fixait volontiers sur des réflexions non théologiques. Mais il se dit – et aussi bien, il aurait pu ne pas se dire – que cette occasion lui offrait la possibilité de revenir à un auteur, Henry Corbin, qui l’avait en d’autres temps intéressé vivement par les réflexions philosophiques à lui inspirées par la théologie ismaélienne. Le livre qu’il tenait présentement entre les mains avait d’ailleurs pour titre « Trilogie Ismaélienne ». 15 euros. Pourquoi pas?

lumière

Du temps avait passé, beaucoup de temps, mais on restait quand même mille ans plus tard, ou à peu près, il retrouva le livre dans son bureau, par hasard. Par hasard? « Trilogie Ismaélienne » avait profité de la chute apparemment malencontreuse d’une pile de bouquins entassés en désordre pour glisser sur le parterre du bureau, un peu plus loin que les autres éléments de la pile. Tout en pestant contre sa négligence et les rhumatismes qui la rendaient encore plus coupable, il s’en absout facilement – chose qui lui arrivait assez fréquemment – en remarquant que celle-là, la négligence, combinée avec ceux-ci, les rhumatismes, lui permettait de retrouver facilement les ouvrages dont il aurait un jour besoin. Il avait donc ramassé le livre et entrepris de le lire. Il eut vite l’impression que bien lui avait pris.

(à suivre 2)

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Récit en rêve, à partir d’un fait-divers.

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Ni l’espace ni le temps ne sont bien fixés dans cette nouvelle extraite d’un recueil (ou d’un roman) publié, il y a plus de quarante ans.

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Comme quoi, l’accès à l’être prend parfois des chemins bien peu raisonnables …

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La survenue au monde de Tiléon, un mutant, plus connu sous le nom de Frankie

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Récit en rêve, au réalisme très effacé, et qui vaut moins pour l’histoire qu’il semble raconter que pour les glissements fréquents qu’il opére dans l’espace et le temps.

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Ce sont par ordre d’entrée en récit : le zinzin traversier de Paul Valéry, la boum-boum-boum, la taratata et la zéro-zéro… d’autres sont seulement évoquées.

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Court récit, extrait après modification, de « Ce que c’est que de nous » (CQCQDN)

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