Dans le dernier billet de cette série, j’ai dit m’inquiéter un peu de l’inscription d’une réserve de 20.000 euros dans le Budget de 2008 pour une révision éventuelle du Plan Local d’Urbanisme. Je voudrais revenir aujourd’hui sur cette réticence. Pour essayer d’en analyser les raisons et en particulier le réflexe qui, sous couvert de l’intérêt général, peut sembler refléter une sorte d’égoïsme de nanti : installé sur le terroir communal depuis une trentaine d’années, bénéficiant d’une pension d’enseignant non négligeable par les temps qui courent, fort réfractaire à toute notion d’enrichissement personnel qui irait au-delà de ma situation actuelle, je peux apparaître comme désireux de conserver avec avarice cet état de fait et hostile par conséquent à une refonte du PLU qui entraînerait la disparition de paysages auxquels je tiens.

contes et légendes de la Rouvière

Contes et légendes de la Rouvière

Il s’agit bien d’un certain égoïsme – qui se dresse d’ailleurs face à d’autres égoïsmes plus portés, eux, sur l’argent, voire sur le fric – et même d’un égoïsme de classe. Je compte le montrer et montrer en même temps que cette attitude n’en est pas disqualifiée pour autant. Comme beaucoup de Chassiérois (très certainement une majorité), mon revenu et les comportements qui en sont les corollaires me définissent comme appartenant à cette immense classe qu’on appelle souvent « la classe moyenne » ou même parfois « les classes moyennes » pour tenir compte de ce qu’elle(s) regroupe(nt) plus de la moitié de la population européenne (de l’ouest), peut-être même les deux tiers. Bien entendu, le tiroir est tellement large qu’il est possible d’y distinguer des compartiments, mais dans l’ensemble, les individus et les familles ce cette classe moyenne sont, comme je le suis, à l’abri du besoin et satisfaits du confort matériel dont ils bénéficient et convaincus par ailleurs de ne voler à personne leur sécurité relative. Il est évident qu’à l’intérieur de cette définition globale, il existe d’importantes variantes, d’autant qu’une autre caractéristique de cette classe (liée certainement à son confort et à son niveau plutôt élevé d’éducation culturelle) est justement l’individualisme. Tous différents! Tous uniques!

Ni aliénés par le surenrichissement comme le sont les personnes et les familles très riches (souvent confondues avec les pantins « people » qui les singent et les inspirent), ni laminés par la pauvreté ou la misère qui écrasent non seulement plusieurs milliards d’humains à travers la planète mais aussi une vingtaine de millions de résidents français, les classes moyennes se situent dans un « juste milieu » dont elles sont souvent les premières à vitupérer la médiocrité tout en percevant vaguement qu’il fait d’elles le pivot de la société. Leur pesée sur la société se manifeste en effet par des signes plutôt mièvres à côté des emportements héroïques dont rêvent ceux qui reconstruisent le passé avec des aristocraties flamboyantes idéologiquement drapées dans leur « honneur » ou qui ont tenté d’imaginer un avenir enchanté par les triomphes d’un prolétariat d’autant plus « pur et dur » qu’il est surexploité.

Non, ici, avec les classes moyennes, on est dans la cote mal taillée, l’approximation, le flou. Il me semble important de comprendre pourtant que cette mièvrerie suppose des qualités morales, intellectuelles et sans doute aussi physiques dont il est permis de se sentir fier, au moins de temps en temps. Car, idéologiquement, nous ne sommes plus ici dans le domaine simpliste des comportements linéaires, basés sur la logique du tiers-exclu (« c’est blanc ou c’est noir ») mais dans le domaine beaucoup plus complexe du tiers-inclus qui vous fait poser dans le même mouvement que c’est blanc et c’est noir, que ce n’est ni blanc ni noir, que c’est un peu blanc et un peu noir, que ça n’a pas tant d’importance que ce soit blanc ou noir… Penser et agir dans ce cadre est plutôt ardu et il est tentant d’échapper à la difficulté en se réfugiant dans des simplifications abusives ou des condamnations péremptoires.

Ces considérations ne sont pas aussi éloignées du PLU de Chassiers qu’elles peuvent le sembler car elles impliquent des comportements sociaux sur lesquels je voudrais maintenant insister. Les personnes et les familles des classes moyennes subissent, à des titres très divers et dont elles s’exagèrent sans doute la diversité, une pression qui les conduit souvent à rechercher un habitat individualisé, ce qui est moins facile dans un immeuble collectif (sauf quand il est de haut standing) que dans une maison individuelle, en agglomération que dans le monde rural. Être propriétaire de sa maison familiale dans un village ou un hameau point trop éloigné d’une agglomération, même de petite taille, avec l’aide de la voiture, du téléphone, de la télé, de l’ordinateur représente souvent un objectif que les classes moyennes rêvent d’atteindre avant l’âge de la retraite si possible. Et quand l’objectif est atteint, le réflexe pousse à souhaiter ne pas se retrouver au cœur d’un lotissement pavillonnaire et donc à vouloir restreindre les constructions autour.

On peut dénoncer cette attitude en la qualifiant d’égoïste et parler, en ce sens, d’égoïsme de classe. On peut aussi accepter de voir que le même égoïsme de classe conduit souvent à l’attitude inverse : tant pis si je démolis le cadre de vie, du moment que j’ai la possibilité de m’installer ou de vendre plus cher mon terrain.

On peut enfin se rendre compte que s’abriter derrière la nécessité de protéger le cadre de vie collectif est sans doute un prétexte, mais un bon prétexte. Un bon prétexte est un prétexte qui n’est pas seulement un prétexte ! Or, ici, il s’agit à mon avis, d’une attitude plus positive qu’il n’y paraît. En effet, le cadre de vie, que le Plan Local d’Urbanisme est censé garantir et que le refus de rendre celui-ci plus favorable à la construction veut protéger, correspond à un patrimoine qu’il semble utile de défendre, non pas tant parce que nous en héritons, non pas tant parce que nous en sommes responsables devant les générations futures mais parce qu’il propose – sur le mode non explicite de la suggestion – une alliance essentielle entre ce que nous appelons « la nature », « l’histoire » et « le présent ». Bien que l’apparente clarté de ces termes se floute dès qu’on y regarde d’un peu près, elle a un sens, cette clarté, et surtout le rapprochement de ces trois concepts permet d’entrevoir que le cadre de vie évoqué ne se laisse pas réduire à un bien-être superficiel : ce qui transparait ici, c’est la possibilité d’une humanité actuelle enracinée à la fois dans la géographie et dans l’histoire mais qui aurait gommé (ou essayé de gommer) ou assagi (ou essayé d’assagir) les violences que la géographie et l’histoire semblent véhiculer.

L’aura florentine du petit château de la Motte , les étagements de terrasses herbeuses dans le quartier du Ranc, les sept lignes de l’horizon du levant à la Rouvière, à la fois fermées et ouvertes – beaucoup d’habitants du terroir communal ont certainement comme moi d’autres exemples qui arrivent sur l’envers disloqué de leurs mots – invitent qui accepte de les percevoir à marcher d’un pas mesuré sur des sentiers qui seraient ébréchés par l’extension du PLU et des constructions. Espérer au moins ralentir une évolution que d’aucuns affirment inéluctable n’est donc pas seulement la preuve d’un égoïsme de classe. C’est aussi donner du sens (et un sens qui ne prend pas sa force dans la violence mais dans l’intense) à la vie simple.

Bien entendu, la tentation (et la menace) du repli sur soi est contenue dans cette attitude. Il faut en convenir et proposer des mesures d’ouverture. Que je pense évoquer dans un prochain billet.

2 réponses à “Vive la lutte des classes (1)”
  1. pages dit :

    Je decouvre ce jour votre existence et elle me rassure…Merci …

  2. admin dit :

    Bonjour,
    c’est toujours agréable d’accueillir ce genre de commentaires… Mais, si vous en avez envie, vous pouvez être plus explicite.
    Pour ma part, j’espère pouvoir vous dire à bientôt.
    Henri Denis

  3.  
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