Tâches utiles du jour, parfums envolés de la nuit.

De nouveau ce moment où l’heure est parfaitement immobile, où le ciel semble plus haut, quand la lumière est une huile qui dore la terre bientôt plus sombre. Ses verdures en cette saison s’effacent par endroits, laissant la place aux rectangles des blés et des lavandes. Je retrouve ce jaune dont je n’ai pu saisir le sens, sinon qu’il est lié à la chaleur, au soleil. Ces champs me font penser aux corbeilles d’osier où l’on couche avec précaution les fleurs, à ces cageots où sont serrés les poissons, à des bassins grouillant d’un frai doré. Mais ce sont des champs couchés sous le feu qui les travaille et les soulève, cuisant lentement dans le four céleste; tandis que tout à côté, comme voisinent au marché des corbeilles d’espèces variées, les lavandes se fondent en eau crépusculaire, en sommeil, en nuit. Soleil, sommeil. Ce qui flambe, rayonne, et ce qui se recueille. Tâches utiles du jour, parfums envolés de la nuit. Ainsi chaque parcelle de l’étendue (au pied d’un bourg de cristal rose presque emporté, dirait-on, par l’ascension de l’air) flatte en nous d’autres souvenirs, d’autres rêveries, mais toutes s’accordent, elles aussi suspendues à la profondeur, de plus en plus limpide, du soir d’été : l’une loue la chaleur qu’elle semble avoir serrée dans ses tiroirs comme autant de pièces d’or, l’autre rappelle à voix basse l’obscurité qu’elle retient dans ses fontaines…

Ce passage est extrait assez arbitrairement de « Paysages avec Figures Absentes », publié en 1967 sous le titre « Paysages de Grignan » et réédité avec un nouveau titre, en 2006, par la NRF, dans la collection « Poésie/Gallimard. Pages 103/104.

Comme beaucoup sans doute, j’estime d’abord normal d’extraire d’un poème tel ou tel passage, même minime, pourvu que je le trouve s’accordant bien avec mon humeur et ma réflexion du moment. Puis – parfois, mais pas toujours, et aussitôt – je me dis que je commets un acte arbitraire qui ne relève plus de la liberté du texte. Je présuppose que mon coup de ciseau n’affectera pas la citation que j’ai choisi d’extraire, mais cela signifie que je considère ou que je feins de considérer le tissu du texte comme assez lâche pour tolérer que l’extrait garde sens, même une fois sorti de son contexte. Or, je ne peux pas ignorer qu’on attend d’un texte poétique un tissage si serré – puisqu’il s’agit de tenter de saisir l’instantané de la présence – qu’il devrait rendre impossible une telle opération. La rendre impossible sans perte de signification ou réorientation.

C’est bien de cela qu’il s’agit ! Extraire une citation d’un texte poétique, et même si elle ne se réduit pas à quelques mots, cela n’affecte pas directement le texte dans son entier mais cela confère à l’extrait une signification nouvelle, qui peut apparaître parfois – et surtout à l’auteur – comme un contre-sens. Il convient, je crois, de ne pas l’oublier, et c’est pourquoi je commence ce commentaire avec précaution. Mais il n’est pas non plus nécessaire d’exagérer cette trahison : toute lecture d’un texte poétique, même pratiquée in extenso, même non accompagnée d’un commentaire, et même sans doute si l’auteur en est le lecteur, infléchit au moins la signification originelle, si tant est que celle-ci soit définissable. Comme l’extraction de citation, la lecture in extenso est une réorientation inévitable. Pas plus ni moins que la lecture in extenso , la citation ne trahit la signification originelle.

Le paragraphe cité est extrait d’un texte qui s’intitule : « Soir », il est composé de trois paragraphes, chacun de longueur comparable. Il exclut toutefois une allusion sur laquelle les deux autres paragraphes sont centrés. Peu importe, pour l’instant, cette allusion. Je note quand même son absence, car je ne peux m’en rendre compte qu’à la relecture, preuve supplémentaire (s’il en était besoin !) que toute lecture d’un texte poétique, même en prose, modifie le texte qu’elle reçoit. Et même, au niveau de l’écriture, au niveau du temps de l’écriture, il n’est pas absurde de supposer que les significations changent au fur et à mesure que de la durée s’écoule. Si bien que l’allusion absente du texte cité revient vers lui pour le hanter et infléchir ses significations.

Cela fluctue, les significations ! Qu’il ne faut pas confondre avec le sens. Le sens qui importe bien plus et en tout cas autrement qu’elles ! Je voudrais profiter de cette citation pour m’expliquer là-dessus. Tout texte (poétique ou non) dénote (renvoie clairement à) ou connote (renvoie confusément) à ce que nous appelons ordinairement des « réalités » : choses, scènes, séquences, personnes, propositions… (liste non exhaustive, mais qui gagnerait certainement à l’être !). Ces renvois multiples, et qui réagissent les uns sur les autres, sont les significations du texte. Et il est inévitable (et nécessaire, mais cette nécessité demandera une explication!) qu’un commentaire cherche à en dégager le plus possible. S’il a à faire à un texte non poétique, il pourra d’ailleurs s’arrêter là.

Si je considèrais « Soir » de Philippe Jaccottet comme un récit, mon commentaire essaierait de dégager les concepts qui désignent le paysage « décrit » par l’auteur. Une campagne de la Drôme provençale (les lavandes!), plutôt en plaine (les champs!), pas très loin d’un village perché (dont je peux même esayer de préciser le nom, à l’aide d’une carte de l’enclave des Papes dans la Drôme !), juste avant le crépuscule quand le soleil d’été jette ses derniers feux, éclairant la nature par en dessous… Je pourrais même noter le recours à des images qui veulent décrire le brasillement des formes, des surfaces et des volumes dans cette lumière : corbeille de fleurs coupées, cageots de poissons, bassins, la lumière comme une huile dans le four solaire…Ce sont des significations et il n’y a aucune raison de les négliger, au contraire, puisqu’elles prédisposent la lecture à rechercher autre chose. Autre chose qui serait ailleurs. Non pas au delà ni même en deça, mais en un non-espace. Autre chose qui serait le sens.

Mais « Soir » est un poème : un récit si on veut, mais alors du genre que Yves Bonnefoy (assez lié à Jaccottet au moment de la première édition du livre) appelle « récits en rêve ». Intermédiaires entre la prose conceptuelle où les mots sont là pour s’effacer derrière leurs significations et le poème où la chair des mots  a plus d’importance que leurs significations, ces récits sont « en rêve », non pas forcément parce qu’ils racontent un rêve (c’est malgré tout exceptionnel) mais parce qu’ils utilisent les ressources du rêve et plus particulièrement le déplacement et la condensation. Le déplacement, qui bouscule les coordonnées établies du temps et de l’espace. La condensation, qui fusionne et défait les entités. Dans le récit en rêve, il en va un peu comme dans certaine chapelle romane quand la lumière semble suinter des parties minérales de l’édifice (diluée par l’étroitesse des ouvertures vers le dehors conjuguée avec l’ébrasement de la baie) si bien que cette lumière semble arriver peu à peu avec un cortège de découpes et de formes inhabituelles qui laissent apparaître un autre monde, comme à l’état naissant. Même quand il s’agit comme ici d’aider à apparaître un monde provençal au moment du disparaître.

Un récit en rêve est un poème et « Soir » est un récit en rêve. Le texte ne recourt pas à la graphie du poème et cela peut conduire à l’erreur. Tout y est grammaticalement conforme et les mots choisis, toujours des mots très simples, semblent là pour être oubliés sous leurs significations. Et ses significations ne sont pas seulement juxtaposées, bien qu’elles se présentent successivement sans vraiment de liaisons; elles s’articulent entre elles et renvoient comme en prose à « un beau paysage », bien composé. Mais on sent bien que s’en tenir là serait accepter l’erreur. Car ici, c’est le sens qui s’impose.

Le sens… Dans la signification, le couple signifié/signifiant permet d’affecter au signifiant un ou plusieurs signifiés que le commentaire peut dégager. Il n’en va pas de même pour le sens. Les détails que le commentaire vient de souligner (et qu’un commentaire plus soigneux aurait dû multiplier) renvoient à des sensations/perceptions. Chacun des cinq sens est mobilisé pour fournir, séparément, son lot d’informations : pour la vue, c’est évident (elle est toujours favorisée dans les paysages) mais les autres informateurs sensoriels sont bien là, sauf peut-être l’ouïe. On a le contact avec l’huile de la lumière, au point de pouvoir la toucher ; le four solaire est là pour l’odorat et, sur la langue, les lavandes se fondent en eau crépusculaire. Je m’en rends mieux compte, seul manque ici l’appel à la sonorité. Et pourtant…

Ce « paysage » a t-il un sens? Ainsi posée, et bien qu’on ait envie, je crois, d’y répondre par l’affirmative, la question ne se pose pas. Ou, du moins, elle n’attend pas de réponse. Le sens de ce récit, le sens du paysage auquel il renvoie, le sens des significations qu’il dénote ou connote, ce sens n’est pas du même ordre (c’est encore une façon approximative de s’exprimer) que notre commentaire et son langage. On aurait envie de le dire pré-verbal ou mieux encore hors-le-verbe (ni avant, ni après … ni pendant…encore que…), c’est-à-dire (peut-être !) non verbalisable.

C’est l’heure qui offre ce lieu. L’heure sans plus l’horloge ni le calendrier, mais l’heure encore imprégnée par l’horloge et le calendrier. L’heure qui s’en retire et, son retrait est offrande du lieu. Oui, le lieu est une offrande et ce serait comme si l’heure l’apportait sur un velours de lumière ombreuse qui fait le jaune passer au blanc dans le même mouvement par lequel le vert passe au noir. L’alchimie du crépuscule est la trace d’un geste qui va, d’en bas à gauche vers en haut à droite mais en s’infléchissant en courbe, faire l’aube du soir se lever. Ni l’heure ni ce geste ne sont de cette campagne. Ni le lieu. Ils sont ailleurs. Ils ne viennent pas d’ailleurs. Ils y demeurent. Cette campagne, si familière au poète qu’il pourrait sans mal la cartographier, la photographier, la raconter, cette campagne n’est pas ailleurs et si je viens à sa rencontre guidé par les indices, je n’y trouve pas le lieu, à moins que je ne l’apporte avec moi. Et encore ne le percevrais-je que sur le mode de l’absence.

Le lieu n’est ni dans le temps ni dans l’espace. Il est, à travers le temps et l’espace, ce qui se retire du temps et de l’espace. Dans le moment exact et exactement là où du temps et de l’espace se retire du temps et de l’espace. Il est de nouveau (de nouveau !) ce moment où l’heure est parfaitement immobile, où le ciel semble plus haut, quand la lumière est une huile qui dore la terre bientôt plus sombre. Oui : quand les verdures s’effacent, quand la pâte du jaune va se soulever, et les lavandes se fondre en eau crépusculaire. Soleil, sommeil : quand le soleil passe au sommeil, quand ce qui rayonne se recueille, quand le village au loin est suspendu à la profondeur, quand l’obscurité est à peine retenue, encore, dans les fontaines. Et plus loin, plus loin dans le paysage et plus loin dans le texte, ce petit groupe de brebis resserrées, presque éternelles et presque absentes, dans l’imminence de la nuit, comme attendant la tonte…

Le retrait, l’absence, le passage, l’éphémère, l’oxymore sont parmi d’autres, mais beaucoup plus souvent et plus efficacement que d’autres chez Philippe Jaccottet, des modes de la présence. Quand, du monde, pour un temps, lions et taureaux s’absentent, sans qu’il en paraisse affaibli, quand l’heure se retire de l’horloge et du calendrier, quand le soleil bas frôle l’ombre immobile des moutons qui attendent la tonte, la présence est là (« l’Illimité » comme dit Jaccottet), semblable – pour nous qui croyons exister, dans notre lexique et notre syntaxe – à la belle baigneuse, qui se trempe même en hiver, et qu’on ne voit jamais qu’enfuie et encore faut-il écrire ces mots, avant de les biffer, comme nous dit l’avoir fait le poète dans ce livre, d’une autre manière où le point d’interrogation est l’indication majeure :

où est la belle baigneuse
qui se trempe même en hiver
et qu’on ne voit jamais qu’enfuie ?

Dans ce moment – qui dure un peu mais qui est reçu comme s’il était en dehors de la durée – il se produit une sorte d’inversion. Un paysage disparaît et un autre va le remplacer, au même endroit à une infime distance temporelle, mais ce qui apparaît dans le texte, et parce qu’il s’agit bien d’un poème, ce n’est pas le nouveau paysage nocturne, c’est le paysage encore diurne, comme s’il se levait pour la première fois. Cette épiphanie de l’état naissant dans le moment du disparaître, quand on la saisit, on sait qu’on ne la saisit pas mais qu’on est saisi par elle : oui, l’instant s’illimite, l’instant illimite. L’intensité de cette présence, le sentiment de cette intensité, se manifeste par la conviction que nous éprouvons d’inexister enfin, de revenir à lÊtre – sans jamais l’avoir quitté puisqu’on ne quitte pas le Tout, et ce serait pour aller où ? À nouveau, je coïncide avec l’Être, je m’illimite avec lui et le miracle c’est que j’en prends une sorte de conscience, comme si j’étais alors l’Être sur le mode de la réflexion.

La plénitude ressentie alors, nous la percevons comme exigeant de nous qu’elle soit chantée, oui, chantée, oui, dite mais d’une voix inhabituelle, d’une voix qui ne se laisse plus guider seulement par les significations des mots, qui leur préfère la pâte même des mots, je dirais : leur musique, si ce n’était pas abusivement privilégier un sens sur les autres, alors que la pâte de ces mots encore disloquaces nous atteint par ce sixième sens qui est, je crois, le sens.Quand le poète est face à ce paysage qu’il invente, ou quand il croit s’y trouver, ou quand il se souvient d’avoir cru s’y être trouvé, le sens s’impose à lui, global, soudain, simple : un seul mot devrait convenir, un mot qui ne renverrait qu’à ce paysage et qui n’aurait pas de signification en dehors de cette désignation. Mais ce mot n’existe pas : il n’est pas encore de l’ordre du lexique ou de la syntaxe ; ce n’est pas un concept. Et ce mot impossible, le poète va en chercher l’équivalent, l’impossible équivalent, en utilisant les ressources de la conceptualisation et notamment la plus fine et la plus contraignante d’entre elles : la dé-conceptualisation.Dans sa frénésie de réel, la poésie multiplie les artifices au point que, souvent, on peut l’identifier à la recherche d’une sorte de parler précieux qu’il est même arrivé à certains poètes, surtout à certaines époques, de vouloir codifier.

Nous sommes loin de Philippe Jaccottet, dans ce dernier cas, mais il est obligé lui aussi, dans ce texte par exemple, de biaiser avec le lexique et la syntaxe et de creuser les concepts au point de les dépourvoir , au moins un peu, de leur caractère de concepts.

Regardez le détail du début (accomplissez donc l’inverse de ce que demande le sens!). Une phrase sans verbe principal, pour commencer, ce n’est plus scandaleux, mais déjà cela infléchit la réception des mots, mais déjà cela substantive, cela immobilise, cela confère au texte une solennité que la banalité des mots ne laisserait pas attendre. Puis une seconde phrase introduite par un possessif qui renvoie à un antécédent improbable grammaticalement. Puis, un glissement (de « rectangles de blé » on passe à «ce jaune ») comme si un éclairage nouveau s’annonçait. Ce jaune est l’occasion d’une sorte d’incise par laquelle le narrateur examine objectivement les errances de sa subjectivité (je n’ai pu saisir le sens, me font penser), faisant le texte jouer sur deux niveaux : celui de l’analyse et celui de l’être (ce sont des champs couchés sous le feu qui les travaille et les soulève...). Un va-et-vient entre le langage le plus conceptuel (tandis que tout à côté, comme voisinent au marché…) et la prose déjà poétique par laquelle les lavandes se fondent en eau crépusculaire, en sommeil, en nuit… Et les deux phrases suivantes se lisent en fait ainsi :

soleil sommeil
ce qui flambe rayonne
et ce qui se recueille

« Tâches utiles du jour, parfums envolés de la nuit ». La phrase est assez énigmatique et je ne prétends pas la décoder. Je dirai que je la reçois d’abord comme agréable à prononcer, ce qui me confirme dans l’adhésion au texte et à son sens. Et je pense qu’un commentateur plus habile parviendrait à souligner le jeu des phonèmes  quand l’accent tonique se pose dessus. Peut-être suis-je sensible aussi au fait qu’elle est le non alexandrin parfait : la césure est à l’hémistiche, mais il n’y a pas d’hémistiche ! Les deux parties du vers sont inégales comme le sont les cellules qui le constituent. Donc une phrase (un vers) travaillée par des guingois, mais qui parvient, comme naturellement, à couler de source, comme s’il énonçait clairement une évidence. La nuit y répond au jour, de la même manière que les tâches y annoncent les parfums. Et la fin du paragraphe confirme que cette phrase sans significations assignables a du sens (au point qu’on a envie de dire qu’elle est le sens) car elle engendre un superbe passage construit comme une argumentation cicéronienne mais qui en extrait sans effort non pas une image mais la naissance d’une image. « elles aussi suspendues à la profondeur, de plus en plus limpide, du soir d’été » : qu’une profondeur puisse se montrer de plus en plus limpide, que quelque chose puisse se suspendre à une profondeur, voilà qui est bien irréel, comme l’est (placé entre parenthèses et mis en doute par deux atténuations – presque, dirait-on -) ce village de cristal rose dans l’ascension de l’air. L’irréel et son effet de réel : la multiplication de ces déséquilibres, de ces décadrages engendre (et, encore une fois, sans effort apparent) un recadrage qui permet – quand on le perçoit – de ressentir l’apparition d’un Nouveau Monde dans le moment même où il se fait présence. La terre alors n’est plus que rectangles de blés et de lavandes, la chaleur et l’or, le silence et la profondeur.

Par quelle alchimie, l’écriture du poète parvient-elle – trahissant, décevant sans doute l’intuition initiale – à me convaincre que j’en retrouve en moi l’empreinte ? Sans doute, autant que ce qu’il est convenu d’appeler l’art du poète interviennent dans cette transmission beaucoup de traits propres au lecteur : sa culture et son histoire personnelles, notamment des souvenirs, son rapport à la poésie, le regard qu’il jette sur sa présence au monde au moment où il lit le texte pour la première fois… Beaucoup d’aléatoire… Le commentaire écrit viendra ensuite (ou ne viendra pas) pour donner de la cohérence et de la nécessité à la transmission et conclura (puisqu’il est là pour ça) que le texte est superbe, voire – s’il y a une place au creux de l’histoire de la littérature – que le texte est un chef-d’œuvre ! Je m’en tiendrai à répéter que le texte est superbe.

Y ajouterai-je quelque chose ?

On est dans la levée du soir. L’été. On marche, immobile, à l’aplomb, cerné d’allégresse. Une brise déporte les cigales. Elles reviennent . Elles repartent Et leur espace aussitôt s’apprête pour la hulotte. On le sait bien. Une fenaison d’avoines folles dépose des menthes sous les aisselles de l’herbe.

On est. On n’a pas à être. On est. Quelque part un portillon s’ouvre, se ferme, s’ouvre. Il bat. Il grince. Les harmoniques de l’instant l’apaisent. On est cette paix. On est partout. Végétal. Vif. Le visage ailleurs. Ailleurs est ici. Le lieu rassemble ici la sève de tous les horizons. Maintenant c’est toujours. Définitivement. Des transparences s’élèvent, comme une à une. Sur le visage le souffle des fougères efface tout et on recommence. On est. On n’a pas à être. On est la menthe. On est la fougère et l’avoine folle. Et l’apaisement du portillon qui grince. Et le geste qui efface doucement les cigales dans l’espère de la hulotte. Tout est suspendu. La journée lève un bras nu. On respire large. Le bras esquisse un signe

et cela survient quand on n’a plus à s’y attendre. Ce n’est pas la nuit qui vient la nuit de ce soir ne viendra jamais, à jamais abolie et le soir, amputé de sa nuit, n’a jamais été qu’un leurre c’est l’image de la nuit. La nuit vitrifiée. Tombale. Obsédante. Obsidienne.

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