Un visiteur, monsieur Pierre Lemblé, qui compte Léon Soulerin parmi ses ancêtres, me communique aimablement le fac-simile d’une page du « Figaro » qui, en 1884, évoquait de façon vivante l’introduction à Paris, quasi clandestinement et avec une obstination que ne désavouerait pas un José Bové, du téléphone Bell.

vignette Figaro

Il est possible d’agrandir cette image en clquant dessus, mais j’ajoute ici la transcription du début de l’article.


Le Figaro du 21 décembre 1884

Courrier de Paris

Ding! Ding! Ding! C’est la sonnette du téléphone qui marche et nous appelle à l’appareil, et nous voici en communication avec une personne qui habite à l’autre bout de Paris. Je ne dirai pas cette vieille rengaine : » Si nos aïeux pouvaient revenir et voir cela, ils n’y croiraient pas ! ». Il n’est point besoin d’évoquer les morts. Si on nous avait dit, il y a dix ans, que cela fût possible, nous aurions souri dans la supériorité satisfaite de notre ignorance. Et cela est arrivé. Le téléphone fonctionne partout : l’électricité transporte le son de la voix comme dans un avenir rapproché elle transportera peut-être le regard et nous permettra de voir en chair et en os la personne qui nous parle ; car on sait que c’est le but, encore à l’état de chimère, que poursuivent les grands inventeurs et rien ne nous prouve qu’un jour ou l’autre, ils ne résoudront pas le problème. L’avenir est à l’électricité comme le dernier demi-siècle a été à la vapeur.

Ce n’est un secret pour personne que nous sommes particulièrement routiniers.Si nous marchons à la tête de bien des choses, nous sommes toujours en retard quand il s’agit de faire entrer les découvertes scientifiques dans la vie pratique. On peut dire que le téléphone, par exemple, s’est installé à Paris envers et contre tous. Il lui a fallu vaincre l’incrédulité du public et l’administration des télégraphes qui se voyait menacée par ce concurrent.

Savez-vous bien que le premier téléphone a été installé clandestinement, et que les hommes qui l’ont posé ont dû opérer la nuit comme des malfaiteurs? Quand? Il y a cinquante ans pensez-vous? Non! En 1878, à la veille de l’Exposition. Trois Compagnies qui ont fusionné depuis demandaient à la fois la concession. Comment convaincre les capitalistes dont le concours était indispensable ? Le téléphone qui allait d’une chambre à l’autre dans un appartement ne prouvait pas grand chose; il fallait le faire fonctionner à une grande distance pour convaincre les récalcitrants. Le ministre ne permettait point la pose d’un cable sur la voie publique ; la question était à l’étude, comme on dit. On sait ce que cela signifie le plus souvent, n’est-il pas vrai? Une question à l’étude, c’est quatre-vingt dix neuf fois sur cent un enterrement de première classe pour l’invention qui en est l’objet.

Le téléphone Bell, invention américaine, importée par un Français, M.Soulerin, était moins appuyé en haut lieu que ses concurrents. Poussé à bout, cet homme ingénieux fit un véritable coup d’Etat ; dans la nuit, sans permission préalable, il fit établir un téléphone partant de la Halle aux blés et aboutissant dans le haut de le rue de Richelieu; et par une ironie audacieuse, il attacha le poteau conducteur sur l’ancien Hôtel des Postes;, monument officiel. Les gardiens de la paix, en voyant les ouvriers affairés sur la toiture de M.Cochery ne se doutaient de rien ; au petit jour, le téléphone clandestin fonctionnait et M.Cochery fut invité par M.Soulerin à venir le voir.

- Savez-vous bien que vous venez de commettre un délit? S’écria M.Cochery, et que vous pourriez être arrêté pour avoir installé une ligne téléphonique en dehors de l’Etat. Ce soir, j’aurai fait enlever votre téléphone!

Mais la première colère passée, M.Cochery se ravisa. Non seulement, il ne fit pas enlever le premier fil, mais il existe encore aujourd’hui. J’ai voulu consigner ce fait authentique pour ceux qui écriront un jour l’histoire des débuts du téléphone…


Adolphe Cochery fut ministre des Postes et Télégraphes de 1877 à 1885 dans 9 gouvernements successifs de la Troisième République. Je laisse – comme on dit – à l’auteur de l’article la responsabilité de ses propos, mais je vous invite fort à prendre une loupe et à lire le reste du texte…

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