à quoi (me) sert ce blog?

ou encore : à propos de ce blog

Laissons de côté les exclamations – admiratives ou dépitées – dont l’usage de la Toile s’accompagne souvent. La possibilité que tout un chacun puisse, au prix d’un léger effort de concentration, créer son blog gratuitement et librement, permet à toute personne qui a envie et besoin d’écrire de poser ses brouillons dans la Toile, en s’imaginant que des passants vont pouvoir les lire. Ce n’est ni révolutionnaire, ni vain.

Même si l’écrivant ne cherche pas à toutes forces à se faire référencer par les moteurs de recherche, même s’il souhaite que son blog demeure confidentiel, il sait – avec la nécessaire et délicieuse mauvaise foi qui accompagne souvent ce genre de savoir – qu’il peut compléter les effets du hasard en confiant à quelques intimes l’adresse de ce site.

On le soupçonnera même – avec plus d’humour que d’ironie – de voir dans le blog un substitut de publication, mais sans les contraintes de la publication, sans l’examen de passage et la hantise du rejet, sans l’obligation de participer au spectacle publicitaire, sans le professionnalisme lourdingue qui transforme l’écrivant en écrivain.

L’écrivant? L’écrivain? Je sais bien qu’il s’agit aussi d’un jeu de mots, assez pauvre, mais j’y attache de l’importance. Oui, je ne me perçois pas (je ne me perçois plus) comme un écrivain mais comme un écrivant et je ne m’en sens pas diminué. Au contraire. Tout écrivain ( d’accord, je ne connais pas tous les écrivains et ma formulation est au moins présomptueuse) est d’abord une auto-entreprise que son PDG salarié rêverait de faire absorber dans un de ces puissants groupes ayant pignon sur rue et se nommant, par exemple, Gallimard, Le Seuil ou ActesSud. Ce n’est pas (ce n’est plus) de mon goût. J’aime écrire, j’ai besoin d’écrire, j’ai besoin d’être lu et j’aime être lu, mais je n’ai pas du tout envie de gloire ou de pouvoir ou d’argent. Je me perçois comme un écrivant.

Je n’ai besoin ni envie de gloire, de pouvoir ou d’argent, mais j’ai besoin de l’autre. L’autre! qui c’est çà, l’autre? Je n’en sais rien. Ou, pas grand chose. Ou trop de choses, si contradictoires qu’elles semblent s’annuler, mais avec un reste. L’autre, c’est l’extériorité radicale qui porte un jugement de valeur sur ce que j’écris, comme s’il savait mieux que moi comparer ce que j’écris avec ce qu’il faudrait que j’écrive. Mais l’autre, c’est en même temps et dans le même lieu, l’intimité absolue : il m’habite, voire, me hante. Sa présence se confond avec la mienne : l’autre est un je qui, à l’instar de n’importe quel je, se prend pour la substance même de tous les je.

Mais, s’il en est ainsi, pourquoi ne pas se contenter d’écrire sur une feuille de papier ce que je crois avoir besoin d’écrire ? S’il en est ainsi, pourquoi ce surcroît de concentration personnelle (et de mauvaise foi!) vers la Toile? Pourquoi un blog, s’il en est ainsi?

Je devrais peut-être me répondre, sur ce point aussi, que je n’en sais rien ! Je n’en sais rien, mais je n’apprécie pas de n’en rien savoir : d’une manière ou d’une autre, j’aimerais bien savoir: j’aimerais tellement au moins deviner que j’en arrive à deviner que l’autre éprouve comme l’urgence de me lire. Comme si l’autre écrivait à ma place et dans le même mouvement se lisait et, se lisant, cherchait à s’approuver : oui, c’est ça, c’est presque ça, ça peut sortir, c’est mûr ou presque… Au fond (ou superficiellement, c’est selon), quand je me trouve dans cette conjoncture, je me ressens disparaissant au profit d’un autre auquel alors je mets la majuscule. Je n’est pas un autre, l’Autre est je.

La majuscule s’impose doublement , elle souligne la différence (en un sens, ce n’est pas moi qui écris, c’est l’Autre) et elle insiste sur le fait (oui, oui, on peut considérer cela comme un fait!) que l’Autre n’est pas, substantiellement, une personne comme vous ou moi, ce n’est pas une divinité anthropomorphe (dieu ou muse), c’est l’être . Prière – même si on a envie de rire ou de s’agacer – de se reporter au lien précédent : il renvoie à tout une série (ouverte) de liens où je tente de m’expliquer. Pourquoi pas ?

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