C’était une matinée fraîche, sans nuages, où l’air était si sec qu’on avait l’impression que toute l’humidité en avait été extraite – ce que Jordan appelait avec plaisir une parfaite journées des Adirondacks, parlant ainsi non pas de température ou de saison mais de lumière éclatante. Lors de telles journées, que ce soit l’été ou l’hiver, tout ce qu’il voyait sous ce ciel bleu cobalt apparaissait dans une grande netteté de détail, comme gravé à l’eau-forte, ce qui lui donnait le sentiment de pouvoir toucher et voir chaque feuille sur chaque arbre, chaque plaque de lichen sur chaque pierre et chaque rocher luisant dans le ruisseau… Il avait l’impression de voir à travers un microscope. Quel besoin a-t-on d’une forêt, se demanda-t-il, quand on peut discerner chaque feuille en particulier de chaque arbre en particulier ? Quel besoin de montagnes quand on peut voir les roches mêmes qui les composent ? Sous une lumière aussi brillante et aussi claire, tout était là, l’univers entier…

Extrait de « La Réserve », un roman de Russel Banks, dans l’édition et la traduction française de « Actes Sud » (collection Babel) : pages 60/61.

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